Regard vers l’avenir et vers le passé : réflexions sur les 10 ans de la Commission de vérité et réconciliation

Le 5 février 2025

Sous réserve de modifications

Nous reconnaissons les peuples Lək̓ʷəŋən (la nation Songhees et la nation Esquimalt) sur le territoire desquels se trouve l’Université, ainsi que les peuples W̱SÁNEĆ, dont les relations historiques avec le territoire se poursuivent encore aujourd’hui.

Je suis reconnaissante d’avoir l’occasion de revenir, avec vous tous et toutes, sur l’héritage de la Commission de vérité et réconciliation.

Je remercie du fond du cœur Ry Moran et toute la communauté de l’Université de Victoria d’avoir organisé cette importante discussion.

Je n’oublierai jamais le jour où j’ai raconté mon histoire devant la Commission de vérité et réconciliation. Je ne m’attendais pas à être aussi émue en parlant de mon enfance au Nunavik, de mon éducation et des enfants de ma communauté qui avaient été envoyés dans des pensionnats.

À un certain moment lors de mon témoignage, le regretté sénateur Murray Sinclair s’est approché de moi pour me réconforter, avec chaleur et compassion.

Nous vivions un moment historique.

La Commission de vérité et réconciliation a créé le premier lieu de discussion national permettant aux survivants des pensionnats et à leurs communautés de parler publiquement de leurs expériences.

Quand la Commission a publié son rapport, il y a 10 ans, la majorité de la population canadienne a appris pour la première fois ce qui s’était passé. Je me souviens que les gens étaient horrifiés et qu’ils disaient : « Je ne savais pas. »

Des années plus tard, la découverte de tombes anonymes dans les sites d’anciens pensionnats a ému les gens encore davantage.

J’ai été témoin de cette situation en 2021, au début de mon mandat de gouverneure générale, quand j’ai visité la Première Nation TK’emlúps te Secwépemc, à Kamloops.

Les vérités dont les survivants avaient parlé pendant des décennies, en privé et en public, étaient confirmées en images sous nos yeux. J’ai ensuite été témoin d’une manifestation de soutien d’un bout à l’autre du pays à l’égard des peuples autochtones et des familles endeuillées.

Aujourd’hui, après toutes ces années et après le travail phénoménal que nous avons accompli, il n’est plus acceptable que quiconque au Canada dise : « Je ne savais pas. »

Nous avons franchi l’étape de la simple prise de conscience. Les Canadiennes et les Canadiens passent de l’apprentissage à l’action.

Les 94 appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation concernent divers domaines dans lesquels il est grandement nécessaire d’accomplir des progrès pour concrétiser la réconciliation, qu’il s’agisse de protection de l’enfance, d’éducation ou de soins de santé.

Car il reste encore beaucoup de travail à faire pour répondre aux appels à l’action.

Toutefois, il ne s’agit là que d’une partie de la réconciliation.

La réconciliation a lieu partout au pays. Des travaux novateurs ont été réalisés pour renouveler les relations entre les Autochtones et les non-Autochtones.

Nous voyons de plus en plus de signes montrant que la population canadienne appuie les efforts de réconciliation. Le symbole du chandail orange et le message « Chaque enfant compte » se sont répandus, tout comme les initiatives organisées localement à l’occasion de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

Nous avons vu s’organiser des rassemblements comme la Marche de la réconciliation de Vancouver. J’ai récemment remis la Médaille du service méritoire à Karen Joseph, la fondatrice de Réconciliation Canada, pour ses efforts visant à favoriser l’établissement d’un dialogue constructif dans le cadre de cette initiative.

Nous voyons également naître un plus grand nombre d’initiatives de recherche, comme l’initiative Penser historiquement pour le Canada, qui reçoit l’appui du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et qui vise à étudier la façon dont l’histoire est enseignée dans le système d’éducation publique.

En tant que personne issue de la culture inuite, j’attache une grande importance à cette démarche. On ne nous a jamais enseigné notre culture ni notre langue à l’école. Et maintenant, nous avons l’occasion de reconnaître l’histoire de notre pays en tenant compte de toutes les nations qui y vivent.

La réconciliation économique suscite également un intérêt grandissant dans le cadre de diverses conférences qui se tiennent d’un bout à l’autre du pays.

Nous savons que les progrès prennent du temps. Mais quand on regarde en arrière, on voit que les choses évoluent. J’occupe ce poste depuis quatre ans et demi. Maintenant, lorsque je voyage à travers le pays, je rencontre beaucoup plus de personnes qui ont l’esprit ouvert et qui sont prêtes à parler des questions qui nous divisent. Ces conversations sont difficiles, mais elles sont nécessaires pour construire une société qui permette aux peuples autochtones d’assumer leur identité, de préserver leur culture et de parler leur langue.

Les langues autochtones sont en déclin dans tout le pays. Dans ma communauté, dans l’Arctique, nous constatons l’érosion de notre langue. Dans certaines communautés, seuls quelques Aînés parlent encore l’inuktitut. C’est un problème pressant.

La Commission de vérité et réconciliation a provoqué un éveil qui transforme notre nation. Continuons d’avancer.

Ces dernières années, j’ai eu le privilège d’assister aux excuses historiques du pape François concernant les actes préjudiciables commis par des membres de l’Église catholique dans le système des pensionnats du Canada.

J’ai également participé à une rencontre mémorable entre les dirigeants des organisations autochtones nationales du Canada et Sa Majesté le roi Charles III, quelques jours avant son couronnement. Ce fut une journée historique qui a marqué le début d’une relation renouvelée avec la Couronne dans une démarche de réconciliation.

L’automne dernier, j’ai également été profondément honorée d’accueillir certains des derniers survivants du système des pensionnats à Rideau Hall, à Ottawa.

Kimberly Murray, l’interlocutrice spéciale indépendante, venait tout juste de terminer son travail sacré qui visait à faire la lumière sur les enfants disparus et qui a aidé un grand nombre de personnes dans leur processus de guérison. J’ai bon espoir que son rapport historique sera pour nous une précieuse feuille de route dans la poursuite de nos efforts.

D’importants jalons ont été franchis au cours des dernières années.

Le message que je veux aujourd’hui vous adresser, ainsi qu’à tous les paliers de gouvernement et à l’ensemble de la population canadienne, est simple :

Aussi difficile et longue que puisse être la route menant à la réconciliation, nos efforts ont des retombées positives et nous ne pouvons pas abandonner.

Les gouvernements, les institutions et tous les Canadiens et Canadiennes doivent renouveler leur engagement à poursuivre la réconciliation. Dans tous les domaines et par divers efforts.

La réconciliation signifie différentes choses pour différentes personnes, et c’est tant mieux, car chaque geste compte.

Nous devons encourager un plus grand nombre de non-Autochtones à agir et à nous aider à lutter contre le négationnisme des pensionnats.

Comme l’a souligné le regretté sénateur Sinclair, tout commence par l’éducation, et je tiens à saluer le travail novateur que l’Université de Victoria accomplit à cet égard.

Votre établissement est devenu un centre d’échange de connaissances sur la résurgence et la décolonisation des peuples autochtones, et il offre maintenant la première maîtrise au monde axée sur la promotion de la réconciliation. Félicitations et merci.

D’autres établissements, d’un bout à l’autre du pays, suivent votre exemple.

J’ai visité l’Université des Premières Nations du Canada à Regina, en Saskatchewan, la première université administrée par des Premières Nations au Canada.

J’ai rencontré de jeunes Innus qui participaient à une expédition axée sur les sciences de la mer dans la réserve de parc national des Monts Mealy, au Labrador, dans le cadre du Programme des gardiens autochtones.

Et c’est avec fierté que j’ai appris que l’Université de l’Inuit Nunangat verra le jour dans le Nord dans quelques années. Ce sera la première université canadienne fondée sur la culture et la langue inuites.

Quand je vois de jeunes Autochtones bâtir aujourd’hui leur future carrière en assumant fièrement leur identité, je ressens beaucoup d’espoir. C’est un grand pas en avant.

Ce dixième anniversaire ne marque pas la fin de notre travail, mais bien le début d’un nouveau chapitre.

Continuons à créer des espaces d’encouragement dans nos établissements pour que des conversations comme celles que nous avons aujourd’hui puissent avoir lieu. Des espaces où les gens peuvent réfléchir de manière critique à ce qu’on leur a enseigné. Des espaces où ils peuvent désapprendre et apprendre de nouveau.

Et surtout, continuons de faire participer les étudiants et les jeunes à tous nos efforts. Tenons compte des idées uniques qu’ils apportent à ces discussions importantes. Ce sont eux qui poursuivront la réconciliation.

Merci. Je serai heureuse d’entendre vos observations sur les sujets que j’ai abordés aujourd’hui.