Le 11 mai 2023
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Bonjour,
Avant de commencer, je tiens à reconnaître que nous sommes sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, qui vit sur cette terre et en prend soin depuis des milliers d’années.
Je tiens tout d’abord à remercier toutes les personnes qui se consacrent aux questions autochtones dans le cadre de cette conférence. Je suis fière de vous voir tous et toutes contribuer au processus de réconciliation.
Pour faire progresser la réconciliation, il est indispensable que les personnes de tous les domaines comprennent comment leurs actions peuvent avoir un effet sur les communautés autochtones, sur notre mode de vie et sur la manière dont nous façonnons notre pays.
Je vous félicite pour ce que vous avez déjà accompli et pour ce que vous faites afin d’améliorer l’équité, la justice et l’égalité dans le domaine du droit.
Aujourd’hui, je veux tourner mon regard vers l’avenir. Car même si nous avons fait de grands progrès, il reste encore beaucoup à faire pour bâtir un pays qui offre des chances égales à tous. Un pays où nous affrontons les défis conjointement. Un pays où la réconciliation fait partie de notre fibre collective.
Au fil des ans, j’ai assisté à l’évolution de notre système juridique par rapport aux peuples autochtones.
En 1981, je faisais partie de l’équipe de négociation représentant les Inuits qui a contribué au rapatriement de la Constitution canadienne. À l’époque, les Premières Nations, les Inuits et les Métis étaient perçus comme formant un seul et même groupe appelé « les peuples autochtones ».
Cependant, en tant que leaders autochtones, nous nous sommes attachés à faire comprendre que nous étions en fait des peuples distincts, chacun ayant une identité, une langue, une culture, un système de gouvernance et une histoire qui lui sont propres. Par la suite, en vertu de l’article 35 de la Loi, nous avons obtenu la reconnaissance de trois peuples autochtones distincts – les Premières Nations, les Inuits et les Métis – et la confirmation des droits ancestraux ou issus de traités des premiers peuples du Canada.
Les retombées de cette décision sont toujours présentes. La semaine dernière, des chefs des Premières Nations, des Inuits et des Métis ont rencontré Sa Majesté le roi Charles III, quelques jours seulement avant le couronnement, marquant ainsi une nouvelle étape importante dans les relations entre la Couronne et les peuples autochtones.
Malgré cette reconnaissance, les peuples autochtones peinent encore aujourd’hui à se faire entendre et à mettre en œuvre l’esprit des traités, qui étaient considérés comme des documents immuables et non comme des textes évolutifs pouvant être modifiés en fonction du contexte et des années qui passent. Cette tendance a donné lieu à des différends, à des renégociations et même à des recours devant les tribunaux.
Chez les peuples autochtones, qui ont déjà subi des politiques qui les ont privés de leur langue, de leur culture et de leur identité, la confiance dans nos institutions les plus importantes s’est érodée. Aujourd’hui, notre travail consiste à la rétablir. Les professionnels du droit jouent – et continueront de jouer – un rôle important à cet égard.
Le rétablissement de cette confiance passe notamment par la mise en œuvre des appels à l’action lancés par la Commission de vérité et réconciliation. Nous pouvons également y contribuer en cherchant à nous renseigner non seulement sur les droits des peuples autochtones, mais aussi sur l’histoire complète et véritable du Canada, dans ses bons et ses mauvais côtés.
Je sais que l’Association du Barreau canadien a établi des partenariats pour créer des ressources en ligne afin de former les avocats à l’histoire et aux réalités des Premières Nations, des Inuits et des Métis.
Votre apprentissage comprend également des conférences comme celle-ci, où vous pouvez entendre parler des batailles juridiques que mènent les peuples autochtones, notamment en matière d’autonomie gouvernementale.
Il y a quelques semaines, j’étais à Tuktoyaktuk, dans les Territoires du Nord-Ouest, en compagnie du président de l’Allemagne. Nous avons rencontré des responsables locaux qui nous ont décrit les ravages causés par l’érosion des côtes, qui disparaissent au rythme d’un mètre chaque année.
Nous avons également entendu Nellie Cournoyea, ancienne première ministre des Territoires du Nord-Ouest et première femme autochtone à occuper ce poste, défendre avec passion l’idée que les solutions doivent émaner de la population locale, et non être imposées par des personnes qui ne comprennent pas le fonctionnement quotidien de la communauté.
L’autonomie gouvernementale est plus qu’un mécanisme juridique. C’est un symbole de confiance et de respect envers les valeurs autochtones. Elle est essentielle pour la gestion, la préservation et la protection de nos espaces naturels, dans la mesure où les peuples autochtones sont les gardiens de ces terres depuis des siècles. Elle est également vitale pour l’autodétermination.
Nous devons intégrer et refléter le savoir autochtone dans tous les aspects de la prise de décisions concernant leurs terres d’origine. Des progrès ont déjà été réalisés en ce sens, comme en témoignent les nombreux accords conclus entre les gouvernements et les communautés autochtones dans le but de collaborer dans les domaines de la justice, de la gestion des terres, de l’atténuation des effets des changements climatiques, de l’éducation et bien d’autres encore.
À Tuktoyaktuk, des leaders communautaires collaborent avec des organisations pour conjuguer les connaissances autochtones et scientifiques en vue de lutter contre les effets réels et courants des changements climatiques. Cela n’est pas sans rappeler ce que vous faites ici, à savoir rapprocher les connaissances du système juridique canadien des réalités et des traditions des peuples autochtones.
C’est une façon de vivre dans deux mondes.
L’Aîné mi’kmaq Albert Marshall avait un mot pour décrire cette réalité. Dans la langue mi’kmaq, c’est le mot etuaptmumk, qui veut dire « approche à double perspective ».
L’approche à double perspective consiste à reconnaître à la fois la valeur du savoir autochtone et celle du savoir occidental, et à apprendre à les utiliser ensemble, pour le bien général.
J’ai appris cette leçon très tôt, ayant moi-même grandi dans deux mondes : le monde occidental de mon père, qui n’était pas autochtone, et le monde inuit de ma mère et de ma grand-mère.
L’échange de connaissances entre toutes les cultures est essentiel, car il favorise le respect et la compréhension de la réconciliation. En outre, la mobilisation des peuples autochtones est une façon de leur permettre de contribuer à leur propre réussite.
Plus tôt cette année, l’Université de Victoria a tenu une cérémonie de remise des diplômes pour une cohorte d’étudiants ayant décroché un diplôme de droit unique qui combine l’étude du droit autochtone et du droit non autochtone. Ce n’est pas la première fois que cette université favorise la participation des Autochtones à la vie juridique, puisqu’elle a établi des partenariats à Iqaluit pour contribuer à la création de l’école de droit Akitsiraq en 2001. Ce programme d’enseignement du droit destiné aux étudiants inuits et le nouveau diplôme de droit de l’Université de Victoria sont des modèles de mesures novatrices. Ces programmes montrent que les lois, les traditions et les structures autochtones ont leur place dans notre système judiciaire.
Voilà le genre de programmes dont le Canada a besoin pour renforcer la participation des peuples autochtones et sensibiliser un plus grand nombre de non-Autochtones à ces questions vitales. Vous avez également un rôle à jouer pour inciter davantage d’Autochtones à faire carrière dans le droit.
En quoi cela est-il important ?
Ce l’est parce que nous avons besoin de vos perspectives diverses et de celles d’autres communautés pour permettre à notre pays de continuer à évoluer et à s’améliorer au profit des générations futures.
Notre système judiciaire a une dimension humaine. Lorsque nous constatons des erreurs, nous prenons des mesures pour les corriger. Le changement auquel nous aspirons, le changement dont nous avons besoin, se trouve dans nos institutions les plus fiables, et il dépend de professionnels comme vous.
J’espère que vous continuerez à œuvrer en faveur de la justice, de l’équité et d’une communication ouverte avec l’ensemble des Canadiens et Canadiennes.
J’aimerais vous laisser sur un mot en inuktitut : ajuinnata. Il s’agit d’un concept important pour moi et pour mon peuple. Il signifie ne jamais abandonner. C’est un engagement à agir, peu importe la complexité de la situation.
J’ai énormément confiance en vous et en tout ce que vous accomplirez pour le Canada dans l’esprit d’ajuinnata.
Merci.