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Ottawa (Ontario), le mercredi 10 mai 2017
J’aimerais commencer en exprimant ma sympathie à tous ceux qui sont touchés par les graves inondations qui ont dévasté la région.
Il s’agit d’une période difficile pour beaucoup de nos amis, voisins, collègues et êtres chers. Hier, j’ai visité certains des secteurs sinistrés et j’ai pu constater les effets destructeurs des inondations. J’ai aussi été témoin des efforts remarquables consentis par tous ceux qui apportent leur aide sur le terrain, y compris un grand nombre de fonctionnaires fédéraux, provinciaux et municipaux.
Nos pensées accompagnent tous ceux qui sont touchés et concernés. Nous leur souhaitons que la situation se redresse et revienne à la normale le plus rapidement possible.
Je vous remercie de la confiance que vous m’accordez dans le cadre de cette conférence nommée en l’honneur de John Manion, officier de l’Ordre du Canada qui a apporté de grandes contributions à la fonction publique et au Canada.
Le mot clé de mon exposé est justement la confiance. Voilà ce dont je veux vous parler aujourd’hui.
La confiance envers la fonction publique, et le rôle que les fonctionnaires peuvent jouer afin de renforcer la confiance dans nos institutions publiques et de continuer à édifier le Canada.
Mais j’aimerais commencer par vous relater une histoire.
Cette histoire s’est déroulée il y a quelques années, lorsque j’étais président de l’Université de Waterloo.
Un jour, l’ancien greffier du Conseil privé, Kevin Lynch, m’a indiqué qu’il s’inquiétait de la capacité de la fonction publique à attirer les meilleurs étudiants. Il nous a demandé si nous pouvions organiser un salon de l’emploi dans la région de Waterloo, ce que nous avons fait.
Pendant deux jours, 80 sous-ministres et sous-ministres adjoints sont venus parler d’emplois dans la fonction publique. Ils ont mené des entrevues auprès d’étudiants et d’employés potentiels. Ils pouvaient faire des offres d’emploi sur place.
Ce fut un vif succès. Plus de mille étudiants se sont présentés et beaucoup d’entre eux ont formulé des observations pour expliquer les raisons qui les avaient amenés à s’intéresser à cette profession.
Pouvez-vous deviner quelle était la raison la plus souvent mentionnée?
L’idéal du service public.
Je commence par cette histoire parce qu’elle nous rappelle la raison fondamentale pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui. Nous sommes tous inspirés par l’idée du service public, de contribuer au bien commun, d’édifier un meilleur pays.
Gardez cette idée à l’esprit à mesure que je continue de vous parler. En effet, comme vous le savez, il y a beaucoup de scepticisme de nos jours à l’endroit de nos principales institutions, ce qui inclut la fonction publique Canada. On observe une érosion de la confiance et il s’agit d’un problème que nous devons prendre au sérieux et que nous devons chercher à résoudre.
J’aimerais traiter de trois points principaux.
Premièrement, je vais définir ce qu’est la confiance et je vais vous expliquer plus en détail pourquoi je vous en parle aujourd’hui.
Deuxièmement, j’aimerais souligner quelques grandes contributions de la fonction publique et vous décrire en quoi la confiance est fondamentale en vue de continuer dans cette voie.
Troisièmement, j’aimerais présenter les éléments qui permettent d’instaurer globalement la confiance dans les relations entre la fonction publique et les Canadiens, et parler de certains moyens à prendre pour rétablir, maintenir et renforcer ces liens.
Par la suite, je compte bien prendre connaissance de vos impressions et participer à une discussion sur le sujet.
Tout d’abord : qu’est-ce que la confiance? Je crois que nous en avons tous une bonne idée. Le dictionnaire Oxford propose plusieurs définitions touchant les domaines du droit, de la philosophie, des affaires, de la finance, de la médecine, du journalisme, de la sociologie et bien d’autres encore.
Lorsqu’il est question de confiance, j’aime me servir d’une analogie : la confiance, c’est comme le ciment.
Elle est le ciment qui nous lie les uns aux autres. C’est vrai à l’échelle individuelle – la relation entre deux personnes, les membres d’une famille ou des collègues de travail – et à l’échelle collective – dans une collectivité ou un pays.
C’est particulièrement vrai dans une société démocratique comme la nôtre. La vie démocratique repose sur l’existence d’une confiance de base entre les citoyens et dans les institutions et les dirigeants qui les représentent.
L’une de ces institutions qui jouent un rôle important est la fonction publique du Canada.
Certes, la confiance seule n’est pas tout. Nous disposons de systèmes et de lois pour protéger notre mode de vie, mais, en grande partie, la confiance n’est pas quelque chose que nous pouvons mesurer ou imposer.
Cela vaut même pour les documents légaux comme les contrats écrits. Comme l’a judicieusement fait observer Émile Durkheim : « tout n’est pas contractuel dans le contrat. »
John Ralston Saul a soulevé une idée similaire en faisant ressortir l’importance des règles non écrites de la vie démocratique.
« Dans une démocratie en santé, écrit-il, le pouvoir est éminemment circonscrit. Et les conventions, les accords, le respect des procédures, les rapports entre gouvernés et gouvernants et le civisme à proprement parler, tout cela revêt une importance surprenante. Pourquoi? Parce que si la démocratie n’est que pouvoir, on se retrouve avec un système de méfiance organisée. »
« Un système de méfiance organisée ». C’est le résultat que nous obtenons lorsque nous négligeons le fait que dans un contrat, tout n’est pas contractuel.
Après un certain temps, un tel système devient insoutenable. Ou plutôt, il devient antidémocratique, car le travail se fait désormais par la coercition plutôt que par le compromis. Ou encore, le travail ne se fait tout simplement pas.
Dans le cadre du contrat social à la base de notre vaste pays diversifié, nous avons fait du compromis un élément fondamental de notre société. Il existe de nombreuses conventions et interprétations non écrites qui orientent nos façons de faire.
Il s’agit d’une situation qui a cours depuis 150 ans, et qui est rendue possible par le ciment que nous appelons la confiance.
Maintenant, voici une autre observation sur la nature souvent fugitive de la confiance.
Comme l’ancien gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney l’a déjà souligné :
« La confiance arrive à pied et repart en Ferrari. »
Or, le bruit qui se fait entendre ces derniers temps dans une bonne partie du monde – ce bruit qui ressort des grands titres des journaux – c’est celui de la confiance qui repart en Ferrari.
La confiance à l’égard du gouvernement. Des institutions. Des médias. Des dirigeants. Des ONG. Des entreprises. Toute cette confiance qui s’évanouit dans le décor.
Le Canada n’est pas à l’abri. Peut-être avez-vous entendu parler des derniers résultats du baromètre de la confiance Edelman, qui analyse l’opinion publique sur la question.
Depuis 2012, Edelman fait le suivi de l’évolution de la confiance dans 28 pays du monde. Au cours de cette période, le Canada a perdu 10 points pour se joindre à la catégorie des pays qui se méfient de leurs grandes institutions et qui ont indices de moins de 50/100.
Sur fond « d’une implosion de la confiance à l’échelle mondiale », le sondage a révélé que, pour la première fois, le Canada est tombé dans la catégorie des pays « méfiants » où moins de la moitié de la population a confiance dans ses institutions civiles. Dans le monde entier, deux tiers des pays sondés se trouvent maintenant dans la catégorie des pays méfiants.
Permettez-moi de vous présenter quelques observations étonnantes tirées de l’enquête Edelman:
- Mondialement, la confiance dans le gouvernement a chuté pour s’établir à 41 %;
- 59 % des habitants du monde occidental ont davantage confiance dans les moteurs de recherche que dans les médias traditionnels;
- Seule 37 % de la population générale mondiale fait confiance aux PDG de compagnies;
- 53 % de la population générale en Occident estime que le système actuel ne fonctionne pas pour elle;
- on note une disparité de la confiance de plus de 20 % entre le public averti et la population générale aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France;
- 40 % des gens au Royaume-Uni estiment que les faits sont moins importants que l’authenticité et les croyances;
- 67 % de la population mondiale croit que les PDG et les entreprises accordent trop d’importance aux résultats à court terme
Qu’est-ce que cela signifie?
Cela signifie que le ciment qui est à la base de notre contrat social s’effrite.
Les implications sont profondes pour la fonction publique, qui a pour mandat de servir ceux avec qui les liens de confiance s’affaiblissent. Si notre contrat social avec les Canadiens ne satisfait pas la population, c’est la population elle-même qui renégociera les modalités de ce contrat pour nous.
Que devons-nous faire alors? Comment pouvons rétablir, renforcer et alimenter la confiance dans nos actions? Comment pouvons-nous contribuer au renforcement du sentiment de confiance général au Canada?
Je crois que nous devons commencer par nous rappeler à quel point la fonction publique joue un rôle inestimable et dans quelle mesure elle est particulièrement bien positionnée pour voir grand et entreprendre des projets ambitieux au nom de tous les Canadiens, et pas seulement au nom de quelques privilégiés.
Comme Donald Savoie l’a écrit dans son livre qui a obtenu le prix Donner, What Is Government Good At? (ou À quoi le gouvernement est-il bon?) :
« Dans une démocratie représentative, ce sont les investissements visionnaires, la recherche de solutions aux problèmes persistants, la présence d’institutions administratives transparentes et dénuées de corruption, et la capacité d’interagir avec tous les citoyens avec intégrité et équité qui sont les clés de la prospérité économique et de la stabilité politique d’un pays. »
Retenez bien ces mots clés. Vision. Résolution de problèmes. Transparence. Intégrité. Équité.
Nous oublions parfois le côté visionnaire de la fonction publique. Mais puisque nous célébrons le 150e anniversaire du Canada, faisons un retour sur le passé pour remonter à la construction du chemin de fer Intercolonial qui figurait parmi les conditions d’adhésion à la Loi constitutionnelle de 1867.
Le leadership exercé par le gouvernement fédéral et le partenariat qu’il a établi avec la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique ont été des éléments essentiels dans la création du Canada. Le chemin de fer Canadien Pacifique a été construit avant même que les conditions du marché soient propices à l’implication d’une entreprise privée dans un projet aussi gigantesque. Ainsi, le chemin de fer, et par extension le Canada, n’auraient jamais vu le jour sans la participation et le soutien considérables du secteur public.
Il convient de mentionner cependant que les plus grandes réussites ne sont pas toujours sans tache, comment cela s’est avéré le cas dans un épisode de l’histoire de ce chemin de fer qui a été marqué par le scandale de la corruption et la chute du gouvernement de Sir John A. MacDonald.
Cependant, le chemin de fer du CP demeure un bel exemple d’une initiative d’une importance si fondamentale pour le pays que nous la reconnaissons facilement maintenant, avec le recul, comme une occasion incontournable. Il y a de nombreux autres exemples de gouvernements — autrement dit de fonctionnaires — qui jouent des rôles essentiels dans de grands projets d’édification de la nation.
Il suffit de repenser à la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent. La mise en place de l’assurance-maladie. L’industrie aérospatiale. Internet.
En fait, au milieu des années 1990, j’ai eu le privilège de travailler avec des fonctionnaires à l’élaboration d’une stratégie numérique innovatrice et inclusive en tant que président du Comité consultatif sur l’autoroute de l’information.
Il s’agissait d’une remarquable collaboration entre les citoyens et un groupe de fonctionnaires très talentueux, énergiques et plutôt jeunes. L’objectif consistait à décider des meilleures façons de développer et d’utiliser l’autoroute de l’information — ce terme vous dit quelque chose?! — au profit de tous les Canadiens sur le plan économique, culturel et social.
L’initiative était menée par John Manley alors ministre de l’Industrie, ainsi que par Kevin Lynch, Peter Harder, à titre de sous-ministre, et Mike Binder qui était sous-ministre délégué. Le premier ministre Chrétien a appuyé la stratégie et a organisé des rencontres avec divers ministres et leurs sous-ministres. Le Comité consultatif bénéficiait d’une grande confiance et il a fait son travail dans les 12 mois qui leur avaient été accordés. Le Comité a par la suite été rappelé pour un deuxième mandat afin de superviser et d’évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre des recommandations.
Cette expérience m’a fait grandement apprécier la capacité de la fonction publique à rassembler des gens, à voir grand et à adopter une vision à long terme dans la formulation d’une stratégie pour l’ensemble du pays.
Plus récemment, le Programme de parrainage privé de réfugiés représente un autre exemple de situation où des fonctionnaires jouent un rôle essentiel et où la confiance est un élément clé.
L’une des raisons pour lesquelles le programme est une telle réussite tient au fait que les Canadiens font confiance aux fonctionnaires concernant le processus rigoureux du traitement des dossiers et de la sélection des réfugiés et de leurs familles en vue du parrainage. C’est un exercice qui repose sur une profonde confiance et qui est un formidable exemple des capacités particulières de la fonction publique du Canada.
Les Forces armées canadiennes sont un autre exemple d’organisme public qui jouit d’un haut degré de confiance. Cette confiance est un élément essentiel surtout quand il s’agit d’exercer un monopole sur l’armement. Les Canadiens font confiance aux membres de leurs forces armées pour ce qui est de servir le pays avec un sens du devoir et de l’honneur; et nos hommes et femmes en uniforme font confiance aux Canadiens pour ce qui est de respecter leur partie du contrat social dans le cadre de leur vie démocratique. Il existe un lien entre les citoyens et les soldats qui est soudé par la confiance.
Je pourrais citer bien d’autres exemples d’organisations et de programmes d’édification de la nation qui ne sont rendus possibles que sur la base d’une relation de confiance entre les fonctionnaires et les Canadiens. Mais nous devons demeurer vigilants. La confiance dans les institutions publiques s’effrite, ce qui signifie que nous devons accorder une plus grande attention à ce que j’appelle la gestion de la confiance. Une tâche qui doit interpeller tous les fonctionnaires.
Comment alors faire avancer les choses? En ce qui concerne mon troisième point, permettez-moi de vous faire part de quelques observations et idées, avant de répondre à vos questions et de passer à la discussion.
On peut dire que la fonction publique suscite la confiance :
- si elle est apolitique, non-partisane, inclusive, audacieuse et humble;
- quand le service représente une valeur et non simplement un travail — et lorsque ses fonctionnaires disposent des moyens nécessaires pour préserver cet idéal du service dont j’ai parlé précédemment;
- lorsqu’elle mise et s’appuie sur la pertinence de son action, la compétence, l’expérience et les faits;
- lorsque ses fonctionnaires ne sont pas de simples spectateurs et travaillent aux côtés des personnes qu’ils servent, et lorsque le public et les intervenants sont fortement mobilisés;
- lorsqu’elle prend des risques calculés et récompense les bons coups en conséquence tout en étant franche sur ses succès et échecs.
Je viens de mentionner le risque, qui est l’un des secteurs où la fonction publique s’améliore de plus en plus. Gérer les risques, prendre des risques nécessaires et bien calculés — ce sont là des capacités clés.
Dans le monde actuel, nous devons aussi porter une attention beaucoup plus grande à la gestion de la confiance. Nous devons mieux comprendre la nature de la confiance qui nous est accordée, ainsi que les façons de la renforcer et de la préserver, et aussi ce qui la mine et l’affaiblit. L’heure n’est pas à l’insouciance, nous devons plutôt toujours chercher à renforcer le lien de confiance qui nous unit aux Canadiens. Nous devons envisager de nouvelles façons de mobiliser et d’inspirer la population.
Il s’agit d’une tâche qui incombe à tous les fonctionnaires, peu importe la région où ils travaillent ou à quel niveau. La fonction publique a joué un rôle fondamental dans l’édification du Canada tout au long de son histoire, et de nombreuses autres grandes réalisations à venir n’attendent que nous. Vous êtes appelés à vivre une nouvelle ère d’engagement et d’excellence. Ce sont les grands défis qui définissent les grandes nations, et je sais que vous êtes à la hauteur de la tâche.
Merci.