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New York (New York), le mercredi 29 mai 2013
Je suis ravi de me joindre à vous pour parler d’innovation.
Cette année, j’ai lu The Idea Factory de Jon Gertner, un livre des plus fascinants. Il raconte l’incroyable histoire de Bell Labs. Située près d’ici, au New Jersey, à une courte distance en voiture, cette organisation a été pendant des années un véritable incubateur d’innovations. Nous lui devons certains des progrès les plus marquants du XXe siècle en technologie des communications, comme le transistor, le circuit intégré, le téléphone cellulaire et le satellite. Le monde intégré d’aujourd’hui, qui se rétrécit sans cesse, est véritablement le résultat de la profonde réflexion et du travail acharné qui ont eu cours dans les laboratoires de cette entreprise.
J’ai appris, en lisant le livre de Gertner, que Jack Morton était un brillant et dynamique ingénieur qui a joué un rôle clé au sein de l’énorme section du développement de cette entreprise. L’une des tâches les plus célèbres et les plus exigeantes qu’il ait assumées a été de commercialiser le transistor, qui avait été développé dans les laboratoires de l’entreprise.
Voyez-vous, concevoir quelque chose comme le transistor, aussi ingénieuse que puisse être cette invention, n’était que la première étape. Les gens de Bell Labs ont dû bâtir un prototype fonctionnel. Ensuite, ils ont dû en peaufiner le design pour en faire un appareil qui fonctionne parfaitement et qui soit absolument fiable. Puis ils ont dû s’assurer qu’il puisse être reproduit d’une manière consistante, au moindre coût et en grande quantité afin que tous les types de consommateurs soient en mesure d’acheter et d’utiliser cet article.
Voici, en résumé, ce qu’un des collègues de Morton a dit à propos de ce défi : fabriquer quelques transistors en laboratoire n’a pas été difficile, mais apprendre à en fabriquer par centaines ou même par milliers de manière assez uniforme pour qu’ils soient interchangeables et fiables, voilà où était la difficulté.
Grâce à son travail de conception du transistor, Morton s’est vite rendu compte que l’innovation n’est pas une action isolée, mais qu’elle s’inscrit dans un processus complet de fonctions reliées les unes aux autres. Morton a écrit que l’innovation ne s’arrête pas à la découverte d’un nouveau phénomène, ni au développement de nouveaux produits ou de techniques manufacturières, ni à la création de nouveaux marchés. C’est plutôt l’intégration de tout cela dans le but d’atteindre un objectif industriel commun.
Plus tard, il ajoutera un corollaire à ses réflexions. Selon lui, on ne peut parler d’innovation tant que le nouvel article n’a pas été fabriqué en grosses quantités puis commercialisé et vendu également en grand nombre.
Si je relate cette histoire, c’est pour aider à clarifier ce que signifie vraiment l’innovation.
L’innovation relève à la fois de la science pure et d’un impératif économique fondamental. L’innovation à son meilleur ne consiste pas seulement à découvrir et à comprendre. Elle doit entraîner une mise au point, une compréhension et une production de masse et, au bout du compte, rejoindre le grand public.
Je raconte cette histoire également pour nous aider à comprendre que l’innovation, ce n’est pas l’éclair de génie d’une personne fixé dans le temps. Donc, à l’instar des leaders de Bell Labs qui savaient que l’innovation est le résultat du travail d’équipes d’experts dans divers domaines, nous devons comprendre que la création d’une solide culture de l’innovation dans nos pays est une responsabilité que plusieurs partagent — nos gouvernements à tous les niveaux; les fondations philanthropiques et les organismes bénévoles; nos écoles, allant des écoles primaires de quartier aux vastes centres de recherche de deuxième et troisième cycles; et nos secteurs privés, allant des plus petites entreprises aux énormes multinationales, en passant par les grandes associations industrielles.
Bien entendu, c’est le véritable esprit d’innovation qui m’a amené à New York, cette semaine, et qui nous rassemble aujourd’hui. Il est donc à propos que nous soyons réunis ici.
Le Center for Urban Science and Progress est une pépinière de projets innovateurs. Ce centre des sciences urbaines et du progrès rassemble sous le même toit des gens, des connaissances et des technologies de nombreuses disciplines.
Parallèlement, vous cherchez à collaborer avec des partenaires animés du même esprit par-delà des frontières organisationnelles et géographiques pour partager ce que vous avez découvert. C’est une façon de tester, de mettre au point et d’intensifier ces découvertes afin qu’elles puissent être utilisées par des gens, partout dans le monde, pour faire de leurs villes des milieux plus productifs, plus vivables, plus équitables et plus durables.
Votre volonté et votre capacité de travailler ensemble dans un esprit de multidisciplinarité et par-delà les frontières nationales pour découvrir des informations nouvelles, les partager et les peaufiner, c’est ce que j’appelle la diplomatie du savoir. La pratique de la diplomatie du savoir est un puissant moteur d’innovation. Ceux qui étudient l’histoire comprennent que, bien souvent, les plus grands progrès de la civilisation ne résultent pas du travail mené au sein de certaines disciplines, mais plutôt aux intersections de diverses disciplines.
Bien que de telles interactions aient lieu à l’échelle locale, régionale et nationale, elles gagnent en puissance lorsque nous traversons les frontières nationales et cultivons les relations entre chercheurs, scientifiques, étudiants, investisseurs et entrepreneurs de plusieurs pays.
Vous avez peut-être lu le livre Why Nations Fail, de James Robinson, professeur David Florence de gouvernement à l’Université Harvard, et Daron Acemoglu, professeur Killian d’économie au MIT. Leur ouvrage instructif avance que les sociétés inclusives sur les plans politiques et économiques prospèrent, tandis que celles qui pratiquent l’exclusivité sont vouées à l’échec.
En examinant les raisons qui expliquent l’échec des nations de différents points de vue disciplinaires, les co-auteurs donnent du poids à leur argument. La méthode qu’ils emploient ainsi que leur conclusion renforcent ce même argument : lorsque nous travaillons ensemble, de manière inclusive, et que nous examinons une question sous divers angles, nous en saisissons mieux la véritable nature.
La brillante métaphore de la bougie allumée employée par Thomas Jefferson demeure, à mon sens, la meilleure façon d’illustrer ce concept de la diplomatie du savoir et de son incroyable puissance. La bougie allumée symbolise non seulement la lumière, mais aussi la transmission du savoir acquis d’une personne ou d’un groupe à l’autre.
Si vous allumez une bougie avec la flamme d’une autre, cette autre bougie n’en est pas moins lumineuse. Au contraire! Les flammes des deux bougies apportent un éclairage encore plus grand sur tout ce qui les entoure.
Les physiciens appellent ce phénomène, candéla, et le Center for Urban Science and Progress fait sa part pour accroître cette intensité lumineuse. Je crois pouvoir affirmer, sans arrogance, que les Canadiens sont souvent d’excellents partenaires, lorsqu’il s’agit d’augmenter la candéla. Car nous possédons trois principales qualités qui nous procurent un avantage.
Premièrement, nous croyons fermement à l’importance d’apprendre les uns des autres et de partager le savoir à grande échelle. Cette croyance a été acquise il y a longtemps, par nécessité. En effet, la survie des premiers colons européens au Canada dépendait uniquement de leur volonté d’apprendre à partir de l’expérience des peuples autochtones locaux.
Deuxièmement, nous avons donné à tous les citoyens l’accès gratuit, ou à un coût abordable, à une éducation de qualité. C’est ainsi que des générations de Canadiens ont pu surmonter les barrières qui existent dans tous les pays —racisme, pauvreté, l’immobilité des classes sociales — et réaliser leur plein potentiel en tant qu’individus.
Troisièmement, nous encourageons les néo-Canadiens à conserver et célébrer les aspects de leur patrimoine qui ne contreviennent pas aux valeurs qui ont permis, au cours de l’histoire de notre pays, de faire du Canada un tel succès. Cette approche équilibrée enrichit notre société, grâce à l’intégration du meilleur de ce que les autres apportent avec eux.
Les universités canadiennes sont les organisations qui représentent le mieux notre penchant pour l’innovation et notre désir d’établir des partenariats, en tant que nation. Je suis donc très heureux de savoir que mon ancienne institution, l’Université de Toronto, a noué des liens étroits avec le Center for Urban Science and Progress.
Ce partenariat permet aux élèves, aux enseignants et aux chercheurs de ces deux institutions de pratiquer la diplomatie du savoir. Cette alliance a comme autre avantage de servir d’exemple et de pont pour les Canadiens et les Américains afin qu’ils puissent forger d’autres liens avec des écoles, des entreprises et des organisations dans nos pays respectifs.
La productivité du Canada, sa compétitivité, sa croissance économique et sa prospérité durable reposent, dans une grande mesure, sur la recherche et le développement universitaires et scientifiques et sur le passage rapide des innovations du laboratoire et de l’école aux gens, aux ménages, aux lieux de travail et aux villes de notre pays et du reste du monde.
Ayant compris cela, notre pays prend des mesures pour améliorer sa capacité de pratiquer la diplomatie du savoir.
Les investissements en capital-risque en phase de démarrage ont été accrus afin de faciliter la mise sur pied d’un plus grand nombre d’entreprises.
Les fonds de capital-risque pour des projets de grande envergure ont été lancés pour que les entreprises engagées dans la recherche et le développement scientifiques puissent obtenir l’argent dont elles ont besoin pour assurer leur croissance.
Plus de 43 réseaux et centres d’excellence ont été créés pour mobiliser les meilleurs talents du pays dans les domaines de la recherche, du développement et de l’entrepreneuriat afin qu’ils trouvent des solutions à une panoplie de problèmes pressants à l’échelle de la planète.
En outre, des organisations structurées comme des incubateurs et des accélérateurs pour les travaux audacieux ont été élargies pour aider les PME du secteur technologique à se lier avec de grands acteurs de la haute technologie à Boston, Philadelphie, San Francisco et New York.
Je suis ravi de compter parmi nous plusieurs compagnies canadiennes qui participent à l’accélérateur technologique canadien dans le secteur des médias numériques. C’est d’ailleurs aujourd’hui que débute leur programme d’accélération de trois mois à New York.
À présent, 11 des 30 compagnies canadiennes ont lancé des projets à New York. Nous pensons que l’accélérateur dans le secteur des technologies propres intéressera tout particulièrement le Center for Urban Science and Progress, puisqu’il établit un lien entre le transport respectueux de l’environnement, le réseau intelligent et la technologie de la chimie verte au Canada et le marché de New York.
Les pays qui réussissent le mieux en matière d’innovation, comme la Finlande et l’Allemagne, ont tous de telles entités en place. L’Institut Fraunhofer, en Allemagne, en est un parfait exemple. Bien qu’il soit appuyé par le gouvernement allemand, cet institut génère près de 70 p. 100 de son financement grâce aux marchés conclus avec des entreprises.
Votre pays reconnaît également l’importance des instituts scientifiques du secteur public qui travaillent conjointement avec des entreprises et des industries afin de générer des rendements réels pour la population. Dans son budget de 2014, le président Obama fait valoir la nécessité d’obtenir des résultats à court terme des recherches financées par le gouvernement fédéral.
Depuis 1996, les investissements destinés à la recherche ont considérablement augmenté. En fait, pour le Canada, au cours d’une période de 11 ans, ces investissements ont augmenté de 11 p. 100 par année et n’ont cessé de croître.
Une étude menée en 2011 par l’Information Technology and Innovation Foundation à Washington, a d’ailleurs loué le rendement du Canada, et souligne le fait que la recherche universitaire financée par le gouvernement correspond à 0,39 p. 100 du PIB comparativement à 0,24 p. 100 aux États-Unis.
Si je mentionne ces chiffres pour comparer le rendement du Canada à un chef de file mondial en matière d’innovation, ce n’est pas une question de compétition entre nos deux pays.
Car nous ne devrions jamais être des compétiteurs dans ce domaine.
Nous devrions toujours être des partenaires. En tant que leaders en innovation, nous tous ici présents avons le devoir de travailler ensemble, par-delà les disciplines, les organisations, les frontières géographiques et autres, pour encourager la recherche et le développement et faire en sorte que la population puisse bénéficier plus rapidement du fruit de ces efforts.
Nous pouvons nous acquitter de cette obligation en tirant pleinement profit des occasions qui s’offrent maintenant à nous. En effet, des possibilités inouïes s’offrent aux scientifiques, chercheurs, enseignants, entrepreneurs et chefs d’entreprise américains d’investir dans la recherche, de mener des travaux de recherche et de bâtir des partenariats avec des Canadiens, afin que nous puissions ensemble faire des découvertes et les utiliser pour faire face aux enjeux que nous avons en commun.
C’est pourquoi j’invite tous les chefs de file du secteur de l’innovation ici présents à collaborer avec les Canadiens en tant qu’alliés en matière d’innovation et à exploiter ces possibilités.
Une collaboration étroite a toujours été le secret de notre succès dans ce continent que nous partageons. Le président John Kennedy a su parfaitement exprimer les liens durables qui lient nos deux pays.
Il a dit, « La géographie a fait de nous des voisins. L’histoire a fait de nous des amis. L’économie a fait de nous des partenaires. Et, par nécessité, nous sommes devenus des alliés. »
En 1961, lorsque le président Kennedy a prononcé ces paroles évocatrices, nous définissions la nécessité essentiellement comme notre besoin commun de nous protéger nous-mêmes et de protéger nos amis et notre mode de vie, au plus fort de la guerre froide. Aujourd’hui, notre définition de la nécessité est différente, mais n’en comporte pas moins de défis.
Nous devons, par exemple, renouveler notre infrastructure physique, surtout les routes, les ponts, les égouts et les réseaux électriques, qui ont souffert de décennies de négligence.
Nous devons revitaliser nos quartiers industriels urbains et en faire la source d’emplois intéressants et d’une qualité de vie élevée, comme ce fut le cas, jadis, pour des générations de travailleurs et leurs familles.
Nous devons envisager d’une façon nouvelle les modes de transport de nos populations urbaines en raison des coûts qui ne cessent d’augmenter, de l’infrastructure vieillissante et des pressions environnementales.
Nous devons réfléchir sérieusement à la façon d’alimenter nos villes de manière à réduire la consommation d’énergie et les émissions nocives.
Nous devons, probablement avant toute chose, nous poser les bonnes questions afin de pouvoir faire de nos villes des cités prospères animées d’une vie culturelle dynamique et où la société est cohérente et harmonieuse.
Notre monde est de plus en plus urbain. Les problèmes du monde sont des problèmes urbains. Nous devons donc adopter une approche multidisciplinaire et internationale pour trouver des solutions à ces problèmes qui reflètent la diversité et la complexité de la vie urbaine.
Alors, ensemble, Américains et Canadiens, faisons davantage d’efforts.
Cherchons ensemble à recueillir, intégrer et analyser les données pour bien comprendre le mode de vie urbain.
Partageons, évaluons et approfondissons nos connaissances pour pouvoir accomplir des percées innovatrices.
Utilisons ces innovations pour résoudre nos plus profonds problèmes.
Soyons des diplomates du savoir, des ambassadeurs de l’innovation, et créons les villes, les pays et le monde avertis et bienveillants dont nous rêvons tous.
Merci.
