Conférence annuelle 2011 de l’Institut d’études canadiennes de McGill, Le Canada et les États-Unis : conversations & relations

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Montréal, le jeudi 24 mars 2011

 

Lorsqu’on m’a demandé de prononcer l’allocution d’ouverture de cette conférence et de répondre à quelques questions par la suite, j’ai accepté sans hésiter et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, parce que je suis ravi d’être de retour à l’Institut d’études canadiennes et de me retrouver parmi tant d’amis et d’anciens collègues. Quand j’étais recteur de McGill, j’ai eu le privilège de jouer un rôle dans l’établissement de cet institut, au milieu des années 1990. Le but était, et est toujours, d’étudier et de mieux faire comprendre le passé, le présent et l’avenir de notre grand pays et, du même coup, de le rendre meilleur.

Voilà un sujet bien ambitieux. L’un de mes prédécesseurs, lord Tweedsmuir, avait formulé une observation à cet égard, lorsqu’il a été nommé en 1935. Il a dit « quelle grosse besogne que le Canada ».

J’en profite pour féliciter les étudiants, le corps professoral et les personnes qui appuient l’Institut pour le merveilleux travail qu’ils accomplissent afin de nous faire comprendre davantage le Canada et notre place dans le monde.

Revenons maintenant au thème de mon discours d’aujourd’hui, soit la position du Canada comme chef de file mondial en matière d’apprentissage et d’innovation. Voilà un autre sujet ambitieux et une autre raison pour laquelle je suis heureux d’être ici aujourd’hui.

Depuis mon installation comme gouverneur général, je parle d’une nation avertie et bienveillante. Je me suis inspiré des découvertes de Samuel de Champlain, ce grand explorateur qui a dressé la cartographie de six de nos provinces actuelles et de cinq états américains. Il a également été le premier gouverneur de ce que nous appelons maintenant le Canada.

Champlain est un personnage qui est mal compris. Les livres d’histoire ont fait de lui un héros du Canada français, un conquérant et un bâtisseur d’empire.

Or, comme le souligne l’historien et lauréat d’un prix Pulitzer, David Fisher, dans son récent ouvrage intitulé Champlain’s Dream, Champlain était un véritable rêveur qui envisageait d’établir un nouvel ordre dans un nouveau monde. Ayant été témoin des violentes guerres de religion et des conflits qui ont secoué l’Europe au 16e siècle, Champlain a consacré sa vie à l’édification d’une société fondée sur la primauté du droit, la diversité, la tolérance, l’inclusion et la paix.

Cette situation a donné lieu aux découvertes et à la colonisation — aux innovations, si vous voulez — du nouveau monde. Pour ne donner qu’un exemple, le respect de la justice et de la règle du droit ont donné à Champlain la légitimité nécessaire pour agir comme leader dans des conditions des plus difficiles et des plus instables. Alors que d’autres établissements avaient échoué auparavant, la fragile colonie de la Nouvelle-France a survécu, en partie grâce à l’ordre social, synonyme d’une société avertie, établi par Champlain.

Cette société était également bienveillante. Les premiers colons comprenaient le lien de dépendance qui existait entre eux; Champlain lui-même a dit que la colonie de Port-Royal n’aurait pu survivre le premier hiver, en 1605, sans l’aide généreuse des Premières nations locales. Au fil du temps, des immigrants sont arrivés par vagues, cultivant la terre pour pouvoir en vivre, dans l’espoir d’une vie meilleure pour leurs enfants.

Le résultat : un Canada qui est une expérience de paix, de tolérance et d’inclusion, qui se poursuit jusqu’à ce jour.

Selon moi, la vision de Champlain est encore plus pertinente aujourd’hui qu’il y a 400 ans.

Depuis longtemps, les Canadiens sont des chefs de file lorsqu’il s’agit de façonner de nouvelles réalités mondiales et d’y réagir. Pensons à la construction du chemin de fer au 19e siècle ou à l’introduction des nouvelles technologies de communication au 20e siècle. Ces développements, qui ont aidé à rapprocher toutes les régions de notre pays, ont été le résultat de la créativité, la collaboration et la stabilité que seuls une saine gouvernance et un respect de la règle du droit pouvaient assurer.

L’Internet, qui s’est répandu dans le monde entier en moins d’une décennie, est la plus récente révolution des communications. Une révolution qui a remodelé le contexte mondial dans lequel nous vivons.

En 2017, le Canada célébrera son 150e anniversaire. Depuis mon installation, j’invite les Canadiens à envisager de nouvelles façons de bâtir une nation plus avertie et plus bienveillante pour souligner notre anniversaire. La société de nos rêves sera fonction des talents qu’elle aura su développer et de la façon dont elle utilisera les connaissances pour améliorer la condition humaine, tant au pays qu’ailleurs dans le monde.

Alors, qu’est-ce que cela signifie pour ce remarquable institut de cette prestigieuse université, à ce moment-ci?

Premièrement, j’invite l’Institut et les participants ici présents à aider à cristalliser notre vision pour 2017. Voici les questions qu’il faut se poser. Quels sont les buts et les mécanismes qui nous permettront de demeurer un modèle de paix, de tolérance et d’inclusion pour le monde entier? Comment établir un fondement solide, propice à l’apprentissage et à l’innovation? Quels sont les défis qui nous attendent si l’on veut appliquer la formule de Champlain au 21e siècle.

Deuxièmement, je voulais parler de notre vision, dans le cadre de cette conférence axée sur les relations canado-américaines, parce que, dans une société planétaire, le bien-être d’un pays dépend de celui de tous les autres. Nous avons beaucoup en commun, et beaucoup à apprendre les uns des autres. Je parierais qu’il n’y a jamais eu, dans toute l’histoire, de relations plus bénéfiques entre deux pays qu’entre le Canada et les États-Unis, du moins de notre point de vue.

Permettez-moi de vous en donner un petit exemple personnel. Les Canadiens ont énormément profité de la dynamique culture américaine d’apprentissage et d’innovation. Je suis moi-même un Canadien qui a étudié aux États-Unis, ayant passé quatre années fantastiques à Harvard, tout comme mon unique frère a passé quatre années mémorables à Dartmouth. Plusieurs de mes filles, qui possèdent entre elles quatre diplômes de Harvard et de Dartmouth, ont grandement bénéficié de l’excellence de l’éducation postsecondaire aux États-Unis. Nombreuses sont les familles canadiennes qui ont des histoires semblables.

Au Canada, nous avons travaillé très fort  tout au long de notre histoire pour assurer l’égalité des chances. Les jeunes Canadiens ont un accès universel à l’éducation primaire et secondaire et ont la possibilité d’étudier dans les deux langues officielles. Notre système scolaire public, qui fait l’envie du monde entier, est le fondement de notre société avertie et bienveillante; nous devons nous en féliciter, tout comme nous devons chérir nos enseignants, qui se font un devoir de nous inspirer, de nous encourager et de nous inciter à nous dépasser.

Notre défi consiste à atteindre, outre l’égalité des chances, l’excellence, et à considérer ces deux éléments comme étant complémentaires et non contradictoires. 

Pour ce qui est de l’égalité des chances, nous pourrions avoir comme but pour 2017 d’atteindre un taux de 90 pour cent de diplômés au secondaire. En Finlande, ce chiffre est de 95 pour cent. Au cours des cinq dernières années, le taux de diplômés en Ontario est passé de 68 à 81 pour cent, grâce à un partenariat créatif et respectueux avec les enseignants.

Quant à l’excellence, ne pourrions-nous pas aspirer au plus haut niveau, en subventionnant, au Canada, des prix génie du type MacArthur? Ne pourrions-nous pas accroître le nombre de Prix Nobel canadiens pour des travaux afin d’en avoir parmi les cinq premiers? Ne pourrions-nous pas hisser cinq pour cent de nos universités parmi les 50 meilleures au monde, et un autre cinq pour cent dans les 50 meilleures suivantes à l’échelle internationale? Dans la dernière liste publiée par le magazine Times, trois de nos universités figurent parmi les 33 premières et une autre parmi les 50 suivantes.

Dans un monde planétaire, la force de nos idées et le rythme auquel nous innovons détermineront notre qualité de vie.

Comme au temps de Champlain, notre succès reposera sur le degré de notre respect de la loi, de la légitimité et du pluralisme, et sur notre capacité de collaborer. L’histoire nous rappelle l’importance de former des partenariats et de développer des réseaux d’excellence pour le mieux-être de la société.

J’aimerais illustrer l’importance de la collaboration avec une petite histoire concernant CAE, une entreprise de Montréal.

Pour terminer, je vais aborder le thème de la collaboration entre les nations, plus précisément la collaboration canado-américaine.

J’ai souvent recours à l’image de la bougie allumée, une image qu’utilisait Jefferson, lorsque j’évoque l’importance de partager nos connaissances et nos expériences. Dans mes nouvelles armoiries, j’ai d’ailleurs inclus cette image, flanquée de quelques livres, pour représenter l’apprentissage. La bougie est non seulement un symbole d’illumination, mais également de transmission du savoir d’une personne à une autre, et d’un pays à un autre. Le partage des connaissances éclaire collectivement nos sociétés et notre monde. Lorsque vous allumez votre bougie à partir de la mienne, mon éclairage ne diminue pas pour autant. Au contraire, il devient plus vif.

La valeur du savoir est également fonction de l’utilisation qui en est faite. Alors comment faire preuve de bienveillance d’une manière plus éclairée? Le Canada peut être un leader mondial du savoir, c’est-à-dire une nation avertie, mais nos efforts doivent être axés sur l’aide aux citoyens, y compris les plus démunis et les marginalisés. De là l’importance de la « bienveillance envers l’autre ».

C’est dans cet esprit que je vous invite à aider à façonner notre vision en vue du 150e anniversaire de la Confédération qui sera célébré en 2017, et à unir nos efforts pour devenir un Canada averti et bienveillant.

En terminant, j’aimerais résumer ce que disait un grand ami, le juriste de McGill et poète F.R. Scott, qui nous incitait à agir comme des citoyens du monde et à vivre dans un pays de l’intelligence.

Et souvenons-nous également de la célèbre phrase de George Bernard Shaw, qui s’applique si justement aux propos que je viens de vous livrer :

« Certaines personnes voient les choses et se demandent “pourquoi?” Nous rêvons de choses qui n’existent pas encore et nous disons “pourquoi pas?” »