Ce contenu est archivé.
Montréal, le mardi 29 mai 2007
L’éducation n’est pas un privilège.
Elle est un droit acquis en ce pays.
Même si cette conception est relativement récente dans notre histoire.
L’historien Georges Langlois nous rappelle qu’au début du XIXe siècle, dans les campagnes de cette province, on mettait le feu aux écoles.
On préférait sans doute voir les enfants dans les champs que dans les salles de classe.
N’oublions pas que la scolarisation obligatoire jusqu’à l’âge de seize ans ne remonte qu’aux années 1960 au Québec.
Et, aujourd’hui encore, dans tant de pays du monde, y compris celui où je suis née, trop d’enfants n’y ont pas accès ou en sont privés.
L’acquisition de connaissances est pourtant le meilleur, sinon le seul moyen, de sortir de la misère et d’élargir ses horizons.
Je le sais car mon père a consacré sa vie à l’enseignement et m’a appris dès mon plus jeune âge à toujours placer le savoir et les institutions du savoir à la première place.
Et j’ai grandi auprès d’une mère qui m’a donné sur ses genoux le goût de lire et d’écrire.
Elle a été la première à me parler du trésor inépuisable que représentent les livres, tant les classiques que les modernes, les philosophes que les poètes.
Pour sa part, ma grand-mère répétait inlassablement que l’éducation est la clé de la liberté. Elle qui cousait des vêtements et les vendait sur le trottoir pour envoyer ses enfants à l’école.
À Kaboul en Afghanistan, alors que je visitais un projet de microcrédit, j’ai raconté cette histoire à des femmes afghanes qui, comme ma grand-mère, se sont retrouvées veuves avec plusieurs enfants à charge et ont cherché par tous les moyens à assurer l’éducation de leurs enfants, filles et garçons.
Dans tous les pays en développement, demandez aux parents quelle est leur priorité et ils vous répondront sans hésitation : l’éducation!
C’était, je vous assure, très émouvant de partager cela avec elles. De leur dire que c’est le courage de ma grand-mère et celui de ma mère, qui elle aussi a élevé ses deux enfants seules, l’insistance dans ma famille sur l’éducation qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd’hui : notamment la gouverneure générale du Canada que je suis.
Nous avons la responsabilité de propager chez nos jeunes le plaisir d’apprendre et de leur insuffler le sens de l’effort et de l’excellence.
Je vous dirai d’ailleurs que, dans mes voyages à travers le Canada, j’ai eu le privilège d’aller à la rencontre de nombreuses communautés autochtones qui font face à des situations inacceptables et à des problèmes énormes.
S’il est une chose que les aînés, les femmes et les hommes engagés dans la recherche de solutions, affirment haut et fort, c’est que l’avenir passe par l’éducation.
J’ai la plus grande estime pour celles et ceux qui permettent à la pensée de se déployer, de s’exprimer, d’explorer.
Or, c’est justement au cœur d’institutions comme les vôtres que la pensée s’exerce et devient une force collective.
Car je ne conçois pas l’éducation uniquement comme une transmission des connaissances ou d’un savoir-faire.
L’éducation doit être aussi un moyen de donner aux enfants comme aux adultes la possibilité de devenir des agents de transformation de nos sociétés.
Et d’être mieux en mesure d’assumer plusieurs responsabilités communes dans un monde pluraliste et axée sur le savoir.
À vrai dire, l’éducation ouvre la voie à une citoyenneté entendue plus globalement comme une prise en charge des défis de l’heure et comme une volonté d’y répondre.
Penser le monde, c’est d’abord et avant tout penser la place que nous y occupons.
Le monde, ça commence ici-même, dans son quartier, dans sa communauté, ce lieu où nous vivons et rêvons.
Je crois fermement que c’est par l’approfondissement de la pensée que les sociétés évoluent.
Les sociétés qui empêchent la pensée de s’épanouir se coupent de ressources vitales et de possibilités inouïes de renouvellement.
Voyez les dictatures. À quoi s’en prennent-elles d’abord? À la pensée.
L’absence de pensée ne conduit qu’à l’ennui, au désespoir et, dans ses dérives les plus criantes, à la haine et à la violence.
Plus que jamais, le monde nous pose des défis.
Nous sommes appelés quotidiennement à aller au-delà de nos certitudes.
Qu’il s’agisse de métissage culturel, que rend plus manifeste une terre de diversité comme la nôtre.
Qu’il s’agisse de l’équilibre entre les modes de vie ancestraux et l’économie mondiale du savoir.
Qu’il s’agisse de la protection des écosystèmes fragilisés par des années d’abus et d’insouciance.
Qu’il s’agisse de la découverte de nouveaux modes de création pour célébrer la vie dans toutes ses dimensions.
Qu’il s’agisse de la revalorisation de certains savoirs dans un contexte de mondialisation souvent impitoyable pour les humains.
Qu’il s’agisse de donner à toute une jeunesse le goût de s’accomplir en misant sur l’acquisition des connaissances et de savoir-faire au profit du plus grand nombre.
Qu’il s’agisse de permettre à nos jeunes d’accéder à ce que ce pays a à leur offrir : deux langues, plutôt qu’une seule. Deux langues qui sont parlées universellement.
Les enjeux sont vastes.
Et c’est par l’éducation que nous nous préparons, et que nous préparons les jeunes générations, à y faire face avec détermination et espoir.
L’éducation est une promesse de liberté.
La liberté de choisir, la liberté de comprendre, d’élucider, de créer, de s’émerveiller, d’améliorer.
C’est parce qu’elles sont des lieux d’apprentissage de la liberté et de la responsabilité citoyenne qu’il faut protéger les institutions comme les vôtres et assurer leur influence au sein de la Cité.
Je salue chaleureusement les efforts que vous déployez pour moderniser notre approche de l’éducation en milieu postsecondaire.
Et la citoyenne du monde que je suis s’en voudrait de ne pas souligner également le travail que vous accomplissez pour encourager nos étudiantes et nos étudiants à vivre des expériences éducatives transfrontières.
J’en connais le prix et la valeur. Et je souhaite que davantage de jeunes puissent s’ouvrir ainsi à de nouvelles réalités et former de nouvelles solidarités.
Nous avons également cette responsabilité : celle de créer ces possibilités pour nos jeunes de vivre de telles expériences qui leur donnent un sens élargi de l’engagement citoyen.
Je vous remercie de votre invitation à prendre la parole devant vous aujourd’hui et soyez assurés que mes meilleurs vœux de succès vous accompagnent.
