Ce contenu est archivé.
Toronto, le dimanche 19 février 2006
C’est avec grand plaisir et beaucoup d’émotion que je me joins à vous aujourd’hui, à titre de gouverneure générale du Canada, pour la remise des Second Chance Scholarship Awards. Cette cérémonie de remise de bourses d’études est une excellente occasion de souligner les accomplissements de jeunes gens qui ont parcouru un très long chemin. Ils ont surmonté ce que beaucoup considèrent comme l’impossible afin de se transformer et devenir des modèles de réussite. J’ai eu la chance de rencontrer quelques-uns des récipiendaires, et je dois avouer qu’ils m’ont impressionnée au plus haut point. L’un d’eux fait des études universitaires dans l’espoir de devenir médecin, tandis qu’un autre est au collège pour obtenir son diplôme d’ingénieur électricien. L’exemple de ces jeunes qui, contre toute attente, cherchent à se tailler une place dans notre société, vient nous rappeler que tous les jeunes sont capables de changer leur propre vie pour le mieux et de changer celle des autres. J'ai la profonde conviction que les jeunes sont non seulement notre avenir, mais également notre présent. Nous avons le devoir de les encourager et de les appuyer dans l’effort qu’ils font pour nous aider à créer un monde meilleur. C’est pour cette raison que ces récipiendaires méritent nos applaudissements les plus chaleureux.
Je suis ravie de me joindre à vous aujourd’hui, à Toronto, une ville qui est certainement parmi les plus multiculturelles du monde, ce qui explique pourquoi elle est un point de mire pour les cités de demain. J’aimerais parler d’une question qui me tient vraiment à cœur : nos jeunes. Comme tant d’autres Canadiens, je suis consternée par les incidents qui ont frappé Toronto, où des jeunes se confrontent les uns aux autres dans un cycle de destruction qui semble sans fin. J’ai vu des images de jeunes âgés d’à peine treize menaçant, l’arme au poing, d’attaquer quiconque ose porter atteinte à leur fierté. J’ai vu des images déchirantes de mères et de pères pleurant la perte de leur enfant. Face à ces images graves et troublantes, je me pose souvent cette question : qu’est-ce qui peut pousser un jeune à porter atteinte à la vie d’un autre?
Quand j’étais journaliste, j’ai eu l’occasion de rencontrer des jeunes de tous les coins du pays. C’est alors que je me suis rendu compte que bon nombre d’entre eux ont simplement abandonné tout espoir, estimant que leur avenir est limité par l’indifférence d’une société qui les marginalise complètement. Ainsi privés de la chaleur et du soutien de la communauté, ils se détournent de leur famille, de l’école et de la société en général pour tenter de prendre appui quelque part. Dans leur quête d’identité et d’appartenance à une communauté, plusieurs tombent alors dans le piège du crime organisé. Les milieux de la criminalité savent profiter de cette occasion qui leur est offerte d’attirer à eux et d’exploiter les vulnérables et les exclus.
Les morts tragiques de Chantal Dunn et de Jane Creba, deux jeunes étudiantes promises à un bel avenir, nous montrent que la violence et le désespoir peuvent, ultimement, toucher n’importe qui. Comme l’a dit un jour le grand Martin Luther King, Junior, « Nous sommes pris dans un réseau inévitable de réciprocité, entraînés dans un destin commun. Tout ce qui touche l'un, touche tous les autres, indirectement. »
Cela dit, il m’a été permis de constater, lors des récentes rencontres que j’ai eues avec des Canadiennes et des Canadiens à titre de gouverneure générale, que l’espoir est une flamme éternelle que rien ne peut éteindre. L’histoire de celles et de ceux de nos ancêtres que nous célébrons ce mois-ci devrait servir à nous rappeler justement que, tout au long de notre histoire, c’est la foi dans un avenir meilleur qui nous a guidés. En fait, on peut dire que, dans la plupart des cas, la contribution des Noirs au développement de ce continent était fondée sur la liberté de rêver et d’œuvrer à l’avènement d’un avenir meilleur. Pensons seulement à Rosa Parks, mère du mouvement des droits civiques aux États-Unis, et Coretta Scott King, qui ont toutes deux marqué à jamais l’histoire de l’égalité des droits et de la démocratie. Leur souvenir nous rappelle que l’espoir peut nous aider à traverser les pires tempêtes. Cette leçon magnifique, non seulement ne devons-nous jamais l’oublier, mais nous devons sans relâche faire en sorte de transmettre à nos jeunes les valeurs dont elle est porteuse.
D’ailleurs, votre présence ici même me prouve, à moi ainsi qu’à tous les Canadiens, qu’il y a réellement de l’espoir. Au cours des derniers mois, notre pays a beaucoup entendu parler des problèmes auxquels fait face la ville de Toronto. J’estime pour ma part que le temps est venu d’accorder autant d’attention, sinon plus, aux réalisations incroyables de groupes tels que les vôtres. Voici quatre organisations regroupant des gens originaires de partout au monde qui ont décidé d’unir leurs efforts. Et ce, pour que des jeunes qui sont laissés-pour-compte puissent réintégrer la société avec succès. Pour moi, cette image où des citoyens de milieux divers travaillent de concert pour le bien commun, est une source d’inspiration extraordinaire. C’est la concrétisation de ce pouvoir infaillible de la solidarité, du dialogue et de la compassion, grâce auquel on peut créer un monde meilleur. Selon moi, il est clair que les Canadiennes et les Canadiens ont beaucoup à apprendre des efforts que vous et d’autres gens de cette ville ont faits pour donner aux sans espoir de meilleures perspectives d’avenir.
En tant que société, nous sommes témoins de la dérive des valeurs humaines qui nous lient les uns aux autres en faveur d’un individualisme où son propre bien-être passe avant celui d’autrui. Cette indifférence face à la souffrance humaine qui nous rend aveugles au problème de l’exclusion sociale dilue chaque jour davantage notre sens de la communauté et notre sentiment d’appartenance. Comme je l’ai déjà dit, l’humanité est arrivée à un point crucial, où il en va de notre survie de reconnaître que l’individualisme à outrance nous a entraînés sur la mauvaise voie. Qu’il nous faut revenir aux valeurs collectives, c’est-à-dire plus humaines, qui nous permettent de vivre ensemble et d’édifier un monde nouveau, où chacune et chacun a sa place.
Je vous invite à imaginer un monde où, loin d’être uniquement soutenue par les échanges commerciaux, la mondialisation serait fondée sur la solidarité universelle. Nous devons à tout prix faire une plus grande place aux dialogues et aux échanges entre les cultures et les générations afin de pouvoir briser les solitudes qui empêchent notre « vivre ensemble ».
Permettez-moi de vous parler d’une expérience personnelle qui témoigne des valeurs auxquelles j’aspire. Lors de ma visite officielle au Québec, la semaine dernière, j’ai décidé de prendre le temps de visiter des détenus à la prison de Bordeaux, à Montréal. Vous vous demandez peut-être ce qu’une gouverneure générale peut faire dans une prison, mais j’estime qu’il est important de donner aux jeunes toutes les chances possibles d’accomplissement personnel et de participation à la vie citoyenne, même à ceux qui ont dévié du droit chemin. Nous avons passé deux heures très intenses dans un dialogue et une réflexion sur la responsabilité personnelle, la dignité et la liberté. Les jeunes détenus n’ont pas hésité à me faire part de leurs angoisses et de leurs aspirations.
Cet entretien émouvant nous a aidés, de part et d’autre, à voir jusqu’à quel point le dialogue et les échanges peuvent transformer les perceptions et les valeurs. Je me suis également rendu compte que, même dans l’enceinte d’une prison, on peut cultiver l’espoir d’un futur meilleur, d’un futur plus responsable. Les récipiendaires des Second Chance Awards nous démontrent eux aussi que tous les jeunes devraient avoir une seconde chance de réussir.
Mon plus grand souhait, à titre de gouverneure générale, est de rencontrer d’autres Canadiennes et Canadiens et d’être à leur écoute pour savoir ce qui les préoccupe et ce qu’ils ont trouvé comme solutions. Mais je tiens également à donner une voix aux jeunes, surtout à celles et à ceux qui ont été exclus. J’espère vivement que, en privilégiant le dialogue et les alliances qui permettent de briser les solitudes qui nuisent à nos rapports les uns avec les autres, vous voudrez bâtir avec moi le genre de société dans laquelle nous souhaitons tous vivre et qui fera notre fierté à tous.
Merci.
