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Visite à la TOHU, la Cité des arts du cirque
Montréal, le vendredi 10 février 2006
En effet, c’est en tant que cinéaste et aussi compagnon de vie et de route de la Gouverneure Générale du Canada que je suis ici aujourd’hui.
Quand j’ai accepté d’occuper cette charge auprès de mon épouse, j’ai jeté un coup d’œil dans le rétroviseur de ma vie pour mesurer le chemin parcouru par l’immigrant que j’ai été, venu ici pour la première fois, il y a trente deux ans, devenu citoyen canadien en 1981.
Je me suis posé deux questions : Comment assumer ce titre d’Excellence, que je n’avais utilisé, moi-même, jusqu’alors que pour m’adresser aux quelques ambassadeurs dont j’avais croisé la route? Comment accompagner la Gouverneure Générale dans son rôle d’ambassadeur du Canada à travers le Canada et à travers le Monde ?
J’ai trouvé la réponse dans mon parcours de cinéaste documentariste : celui d’un exilé de France, ayant trouvé ses racines au Québec en fondant l’exercice de sa citoyenneté au sein de la démocratie canadienne, dans le respect de son histoire et de ses origines.
Le cinéma documentaire a été mon bâton de pèlerin. Mon premier film, Les Traces du rêve, m’a fait québécois : voyage dans la société québécoise, parcours d’amitié et de connaissance avec, comme personnage principal, Pierre Perrault, une des figures marquantes du courant fondateur du documentaire contemporain à l’Office National du Film. Un film auquel je suis très attaché. C’est ainsi que, quand je déprime, je me redonne un coup de Traces du rêve et je redémarre, je retrouve le courage de faire un autre film.
J’ai compris dès ce moment- là que le cinéma documentaire est un cinéma de la découverte de l’Autre, de la connaissance et du partage avec le public.
Il m’a permis de rencontrer mon épouse alors que je tournais un film avec le grand poète de l’identité martiniquaise et de la négritude Aimé Césaire, il y a 16 ans. Et Haïti est entré en moi comme une identité de plus.
En réalisant Haïti dans tous nos rêves, avec l’écrivain et poète René Depestre, j’ai compris que nous pouvions avoir une identité multiple : une identité-banian, du nom de cet arbre venu d’Afrique et dont les racines deviennent ses branches et ses branches ses racines, à l’infini : me voici donc, français natif natal, enraciné dans l’Amérique québécoise, haïtien par alliance et citoyen canadien par choix.
Depuis plus de vingt ans, le cinéma documentaire est mon bâton de philosophe. Il m’a permis d’aller là où je ne serais jamais allé si je n’avais pas eu un film à faire pour interroger les identités, les nationalismes, l’exil, les révolutions, la barbarie, les rapports entre l’artiste et la politique, la liberté, la tolérance, le racisme, l’ouverture à l’autre.
Voilà ce que j’ai vu dans le rétroviseur des films de ma vie et qui me permet de paraître devant vous, compagnon de route de la Gouverneure Générale, avec mon histoire et mon parcours de cinéaste, pour tout bagage.
Enfin, je suis heureux d’être ici ce soir pour accueillir de jeunes cinéastes qui ont choisi de s’exprimer à travers le documentaire, outil citoyen par excellence. Ils ont choisi cette profession délicate mais essentielle en ce début trouble du 21ème siècle.
Ils ont choisi d’explorer les éclairs tragiques des existences, la beauté parfois, l’ignoble aussi. Ils sont chercheurs de sens comme on est chercheurs d’or, aussi inutiles, aussi essentiels, comme l’utopie et les rêves.
Je sais qu’ils prennent de grands risques pour offrir aux spectateurs un espace de liberté de pensée, de réflexion et un récit unique.
Je sais aussi, pour l’avoir vécu et le vivre encore, que, par les temps qui courent, temps d’incertitude et de déraison, ils sont de plus en plus nombreux ceux et celles qui refusent la pensée unique et qui acceptent le temps d’un film d’être inquiets, troublés, indignés, charmés. Ils trouvent là leurs places actives de sujets et de citoyens.
Je vous admire et vous remercie de prendre la relève, et, si vous permettez je vais vous accompagner quelques temps encore : j’ai un film à montrer et un autre à terminer.
Il me reste encore une montagne à traverser.
