Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion d’une visite officielle à l'hôtel de ville de Winnipeg

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Winnipeg, le mercredi 19 octobre 2005

On dit souvent que Winnipeg est la capitale provinciale la plus froide au Canada. La semaine dernière, j'ai appris qu'il avait déjà neigé chez vous alors qu'il faisait encore presque 30 degrés à Ottawa. Et hier, des gens sont venus m'accueillir malgré la pluie. Ce que ces données météorologiques ne disent pas, c'est la chaleur de la population de votre ville qui a raison de la rigueur de tous les éléments, même pour une femme comme moi dont le pays d'origine se situe entre l'Atlantique et la mer des Caraïbes. Je veux avant tout remercier les Winnipegoises et les Winnipegois de l'accueil chaleureux qu'ils me réservent à l'occasion de ma première visite officielle à titre de gouverneure générale. Je ne suis pas prête de l'oublier.

D'ailleurs, votre ville ne m'est pas étrangère. J'ai déjà eu l'occasion d'y venir à quelques reprises. D'abord, dans les années 80, pour aider à établir un réseau de refuges destinés aux femmes victimes de violence. C'est un enjeu social que je juge extrêmement important et auquel j'ai consacré mes premières années professionnelles au Québec. Ensuite, à titre de journaliste et, tout récemment, de conférencière sur le journalisme et l'engagement social, dans le cadre de rencontres de l'Association canadienne des journalistes. L'impression que j'ai gardée de ces premiers voyages à Winnipeg est encore très vive. Je me souviens d'y avoir trouvé un lieu de métissage des cultures exemplaire à l'image du Canada que nous souhaitons toutes et tous pour les générations à venir.

Votre ville est née de la rencontre des peuples autochtones, métis, européens et des vagues successives d'immigration qui en font aujourd'hui la richesse culturelle et  en assurent la prospérité. Je regarde autour de moi, dans cette salle, et je vois des citoyennes et des citoyens engagés dans leur communauté et qui ont à cœur de veiller aux besoins de leurs semblables.  Ces valeurs d'ouverture, de partage et de tolérance, sont pour moi souveraines. Et je sais qu'il n'est pas toujours facile de les incarner et que, parfois, la différence que représente l'autre peut être perçue comme une menace qui effiloche le tissu social d'une communauté. D'où l'importance, voire l'urgence, de revitaliser le dialogue entre nous qui est pour moi l'acte fondateur de ce pays et un message d'espoir pour l'humanité entière.

J'ai dit et j'insiste que mon vœu le plus cher était que nous travaillions ensemble à briser les solitudes. Cette phrase, qui est aussi ma devise, a fait couler beaucoup d'encre depuis  mon installation. Permettez-moi d'y revenir un instant. J'estime que le geste le plus barbare que l'on puisse imaginer consiste à réduire l'autre au silence et à l'exclure, par le fait même, de la vie. Ce silence peut prendre des formes insidieuses autour de nous. C'est le silence des plus démunis, des sans voix, de celles et ceux qui n'ont plus d'autres choix que de s'emmurer vivants en eux-mêmes. Ce silence est pour moi intolérable. Ma propre expérience m'a appris que de briser ces solitudes équivaut à restituer sa dignité à chaque être humain et à l'engager à participer à part entière à la vie en société.

Je sais que vous, rassemblés ici, jouez chacune et chacun à votre façon un rôle vital dans l'essor de vos communautés et dans l'émergence d'une société ouverte sur le monde et respectueuse des différences qui font la force et l'originalité de ce pays. Votre contribution est fondamentale. Et je vous encourage à continuer sur votre lancée. Nous avons toutes et tous la chance de vivre dans un pays de tous les possibles. Dans un pays qui nous permet même de le réinventer à chaque instant pour le plus grand bien de l'ensemble. C'est une responsabilité qui nous incombe et que nous ne devons pas prendre à la légère. Car, croyez-moi, je le répète, c'est aussi un message d'espoir inestimable pour bien des populations acculées à la barbarie ou au désespoir. Briser les solitudes, c'est aussi entendre les cris de douleur qui franchissent nos frontières, qui frappent à nos portes et qui nous viennent d'un ailleurs souvent trouble.

Je suis une citoyenne parmi les citoyens et j'entame aujourd'hui avec vous une tournée qui me conduira prochainement partout au Canada. Sachez que je suis à l'écoute, que je ne sais pas tout et que j'entends donner une résonnance nouvelle à chacun des gestes que vous posez en faveur d'un mieux-être collectif.  Donner à la parole citoyenne toute son amplitude et sa place en ce pays, c'est déjà, pour moi, contribuer à briser le spectre des solitudes et instaurer un esprit de solidarité entre les femmes et les hommes qui font que ce pays existe et qui ont l'audace et la générosité d'imaginer un monde meilleur pour leurs semblables. Vous pouvez compter sur moi et sur mon mari Jean-Daniel Lafond pour répercuter à la grandeur du pays l'écho de vos préoccupations, de vos succès et l'espoir que nous représentons toutes et tous dans le concert des nations.

J'ai encore tant de choses à découvrir dans votre ville et au Manitoba. J'y suis aujourd'hui et j'entends revenir parmi vous. Mais je veux profiter pleinement des prochains jours pour rencontrer plusieurs d'entre vous dans les milieux mêmes où vous œuvrez.  Par ailleurs, je profite de cette occasion pour saluer et dire toute ma sympathie à celles et ceux qui attendent des nouvelles d'êtres chers affligés par le désastre qui a sévi en Asie du Sud dernièrement. Ce premier voyage n'est qu'un début et je veux établir avec vous une véritable collaboration que, je vous l'ai dit,  je souhaite de tout cœur entretenir dans les années à venir.

Je vous remercie.