Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion de la remise des Prix du Gouverneur général pour l’excellence en enseignement de l’histoire canadienne

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Rideau Hall, le mardi 29 novembre 2005

N’est-il pas incroyable qu’au moment même où nous célébrons l’enseignement de l’histoire, celle-ci se met à défiler sous nos yeux?

Je viens à l’instant de recevoir le Premier ministre du Canada pour exercer l’une de mes prérogatives constitutionnelles qui autorisent le Gouverneur général à procéder à la dissolution du Parlement. C’est dire que des élections auront lieu et que nous entamons un nouveau chapitre de notre histoire collective. 

Vous voici donc aux premières loges d’un moment historique que vous pourrez relater à vos élèves et à vos proches.

Ce qu’on peut dire de l’histoire c’est que l’histoire est un guide. Tantôt, elle s’écrit et s’illustre dans des livres qui circulent de mains en mains; tantôt, c’est la tradition orale qui se charge d’en assurer la transmission de génération en génération. 

Mais peu importe la façon dont elle nous est racontée, on peut dire sans équivoque que notre histoire nous accompagne.

Je me permets d’en témoigner même devant vous, parce que dan mon Haïti natale, je me souviens que les enfants lisaient leur livre d’histoire comme on lit un livre d’aventures. On y apprenait, entre autres, que Christophe Colomb aborda les Amériques pour la première fois dans cette île qu’il baptisa Hispaniola – Petite Espagne. Lorsque les Français prirent à leur tour l’île aux mains des Espagnols, ils la renommèrent à leur façon pour en faire Saint Domingue.

Je me souviens avec quelle ferveur nous écoutions également les aînés raconter ces épisodes de la colonisation, de l’esclavage que subirent les premiers habitants de l’île et de la traite des Noirs d’Afrique pour mieux exploiter les ressources sucrières et l’or. Nous suivions très attentivement le récit du combat des esclaves pour reconquérir leur liberté, jusqu’à la proclamation de la première république noire dans l’histoire de l’humanité. Alors les descendants d’esclaves devenus citoyens libres redonnèrent à l’île son nom d’origine, Haïti, qui signifie terre montagneuse dans la langue des premiers peuples d’Arawaks et Caraïbes.

Autant d’épisodes qui sont à l’origine de l’identité haïtienne et auxquels mes propres armoiries font allusion : la chaîne brisée et le coquillage dans lequel soufflaient les esclaves en fuite pour appeler au soulèvement. Vous voyez combien cette histoire s’est inscrite dans ma mémoire. Et je souhaite que le fait même que je vous la raconte que cette histoire s’inscrive aussi dans votre mémoire puisque je la partage avec vous. Et j’aime croire que l’histoire de tous les nouveaux canadiens enrichit ainsi notre mémoire collective. Parce que l’histoire de l’humanité est un tout.

Qui ne connaît pas son histoire est amnésique. Et qui est amnésique perd le sens du lieu où il vit. Après tout, comme le dit si bien Georges Langlois, « l’histoire  (…) n’est toujours qu’une série de questions, parfois angoissées, que nous posons au Passé depuis notre Présent, ce présent qui demain sera déjà du passé. »

Ce n’est pas seulement une accumulation de dates, si importantes soient-elles. C’est surtout la somme de l’expérience humaine accumulée au fil du temps. L’histoire existe par-delà le temps de nos vies pour constituer la mémoire du lieu que l’on habite. C’est un bien précieux qu’il importe d’entretenir sans relâche et qui enrichit l’humanité entière. C’est la trace du passage des femmes et des hommes en cette vie et en ce monde.

Il n’est pas étonnant que beaucoup d’immigrants s’intéressent vivement à l’histoire de leur pays d’accueil. C’est une façon de mieux saisir le sens du lieu où ils ont choisi de s’enraciner. C’est aussi, et peut-être surtout, l’expression du désir de voir sa propre histoire s’ajouter à la mémoire de ce pays qui les a accueillis.

Chaque individu représente une possibilité qui peut s’inscrire dans l’histoire de ce pays. N’oublions jamais que la grande Histoire est faite d’histoires singulières auxquelles le temps a donné de nouvelles proportions.

L’histoire est là pour que nous en tirions des leçons. C’est en cela surtout qu’elle nous guide vers l’avenir. Elle est comme la vie : toujours en mouvement.

Freiner la marche de l’histoire, c’est imposer une pensée unique, voire la dictature idéologique. Suivre la marche de l’histoire, c’est au contraire comprendre les gestes marquants, les points de rupture d’une époque à l’autre; c’est accepter la pluralité des idées et des démarches, reconnaître nos faux pas et nos oublis, contrer l’ignorance et l’indifférence  pour aller de l’avant.

L’histoire n’appartient pas seulement qu’aux détenteurs du pouvoir. Chaque citoyenne et citoyen a sa propre histoire qui influe sur le cours des choses. L’histoire vit au rythme de ces femmes et ces hommes qui nous entourent. Celles et ceux dont on ne parle pas, les travailleurs de l’ombre.

J’estime que la force de l’histoire tient aussi à la possibilité qu’elle nous offre de reconnaître leur contribution.

Votre contribution afin de restaurer toute sa vitalité à l’enseignement de l’histoire auprès de vos élèves est impressionnante, et j’aimerais vous en féliciter chaleureusement. Permettez-moi de souligner certains de vos projets.

Les étudiants de Jean-François Bélanger, de l’école primaire King George, à Calgary, participent à une expédition japonaise de l’Arctique par le truchement de l’Internet.

Ceux de Linda-Rae Carson, de l’école secondaire Harry Ainlay d’Edmonton, explorent les rapports étroits qui existent entre l’histoire des familles et l’histoire du Canada. J’ajouterai d’ailleurs que Mme Carson est elle-même issue d’une famille d’historiens.

Ceux de Paul Gifford, de l’école secondaire Sedbergh de Montebello, revivent des moments de notre histoire et apprennent les vertus de la solidarité en effectuant des périples en raquettes ou en construisant des cabanes en rondins.

Pour leur part, les élèves de Sheila Hetherington et de Jerry Berridge, de l’école secondaire Unionville en Ontario, se familiarisent avec le monde de l’audiovisuel pour réaliser des documentaires qui visent à préserver le vécu de membres de leurs communautés comme les anciens combattants.

Les élèves de Valérie Rivard et de Caroline Ricard, de l’école Wilfrid-Pelletier d’Anjou, ont ravivé leurs connaissances de la Nouvelle-France en assumant le rôle de certains personnages historiques et en organisant un grand banquet d’époque dans le gymnase.

Enfin, ceux de Loretta Stabler et de Patti Thorne, de l’école communautaire Millarville, en Alberta, ont conçu un site WEB et ont réalisé une opérette retraçant le centenaire de leur province.

Je salue vos élèves et vous remercie de tout cœur de l’énergie, de la détermination et de l’originalité avec lesquelles vous avez entrepris de donner le goût de l’histoire à notre jeunesse. En dynamisant et personnalisant ainsi votre approche de l’enseignement de l’histoire, vous avez fait la démonstration à vos élèves que l’histoire s’écrit toujours au je et qu’elle recommence avec chacun de nos passages dans le monde.

L’histoire est un trésor qui nous appartient et qu’il nous faut enrichir de notre propre expérience. Ce que nous vivons aujourd’hui n’est en somme que l’histoire de demain. Merci de nous le rappeler et de le rappeler à nos jeunes avec autant d’éloquence.

Merci beaucoup.