Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion de la remise des Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène

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Rideau Hall, le vendredi 4 novembre 2005

De toutes les formes que peut prendre la parole citoyenne, celle qu’empruntent et qu’explorent nos artistes est, pour moi, l’une des plus fortes. C’est une parole qui naît de la liberté et qui cherche courageusement et entièrement à décloisonner nos horizons. Ce qu’elle nous fait entendre cette parole, ce qu’elle nous donne à voir, ce qu’elle nous laisse en partage, c’est une célébration de la vie dans ce qu’elle a de plus précieux et de plus éblouissant.

Ce geste de créer, dont la pratique et l’apprentissage s’échelonnent sur toute une vie, témoigne du parcours d’un individu qui se consacre corps et âme à une discipline pour se dépasser et pour nous emporter avec elle et avec lui dans ce dépassement de soi.

Cette femme-là, cet homme-là, qui s’investit dans une aussi grande aventure nous rejoint dans cette part de nous-même qui résiste au raisonnement et qui nous fait voir le monde de plus haut. De ce lieu où tout nous est permis, nous pouvons enfin nous abandonner et rêver en choeur aux possibilités infinies que notre vie quotidienne laisse souvent en friche. Ce lieu est le lieu même de l’expression qui nous permet de renouer avec cette chose qui nous tient au chaud et qui s’appelle la vie, cette chose indéfinissable qui nous permet d’accéder à la beauté au delà de nos différends et de nos petites misères de tous les jours.

En ce lieu, où seules comptent la vie et surtout la liberté de la dire, la liberté de la chanter, de la danser, de la jouer, tous les « humains sont de ma race », pour reprendre la si belle formule de Gilles Vigneault.

Voilà ce que j’ai retenu des nombreuses conversations que j’ai eu l’occasion d’avoir avec des artistes, dont certains ici ce soir, alors que j’étais journaliste. Peu importe la discipline qu’ils choisissent d’approfondir, pour notre plus grand bonheur, ce souci d’élargir notre vision qu’ont nos artistes reste le même. Je sais très bien ce qu’il faut de courage, de ténacité et de passion pour prendre sur soi les rêves, pour prendre sur soi les désirs, les peurs du plus grand nombre et leur donner des échos singuliers qui nous interpellent et nous libèrent à la fois.

Nous savons que nos artistes portent leur coeur sur leurs lèvres, dans leurs yeux, au bout de leurs doigts ou de leurs pieds, comme une invitation à réinventer le monde que nous souhaitons plus harmonieux. Et pour cela, ne serait-ce que pour cela, vous remercier chaleureusement ne suffira jamais.

J’aimerais vous dire, à vous artistes ici rassemblés et lauréats de cette édition des Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène, de même qu’à tous les artistes, jeunes et moins jeunes, que le chemin sur lequel vous vous êtes engagés est celui qui nous va droit au coeur. Votre parcours est à lui seul une leçon de liberté, une leçon de liberté si essentielle en ce monde où le conformisme nous guette.

Vous n’avez jamais attendu que l’on se préoccupe de vous pour créer. Vos oeuvres se conçoivent le plus souvent dans une solitude extrême, envers et contre celles et ceux qui voudraient vous empêcher d’accoucher d’un monde qui vous habite et qui finit par nourrir notre propre imaginaire. De tout temps, les artistes ont toujours su franchi tous les obstacles sur leur route, prissent-ils les formes de la censure ou de la pauvreté. Ils ont créé, mus par cette seule et unique volonté de témoigner de leur vision du monde et de laisser une trace pour les générations à venir.

Je vous rends hommage au nom de celles et ceux qui, comme moi, ne pourraient se passer de vous. À Peter Boneham qui a vraiment repoussé les limites de la danse contemporaine, je dis merci. À Jackie Burroughs qui, avec une jeunesse inépuisable, incarne l’enfant terrible de nos scènes théâtrales, je dis merci. À Oliver Jones dont les rythmes nous submergent comme le fracas des vagues, je dis merci. À Marcel Dubé dont la poésie et les oies blanches sont pour moi promesses de renouveau, je dis merci. À Moses Znaimer, toujours prêt à sonder les technologies pour renouveler notre paysage audiovisuel, je dis merci. À k.d. lang qui enfièvre nos grands espaces de sa voix unique et si belle, je dis merci. À Gail Asper, qui s’emploie sans relâche à promouvoir et à célébrer les arts dans sa communauté et au Canada, je dis merci. Merci, merci, à vous, lauréats des Prix du Gouverneur général pour les arts de la scène de 2005.

Je tiens à vous dire que cet élan visionnaire qui caractérise chacune de vos démarches est celui que j’appelle de tous mes voeux pour briser les solitudes qui confinent au silence et à l’indifférence. Que votre exemple soit pour nous l’étincelle d’espoir qui, un jour, ravivera à la grandeur du monde le feu sacré qui vous anime. Pour nos enfants et pour nous, il faut apprendre à imaginer un monde aussi grand, aussi riche et aussi beau que le vôtre.Grâce à vous, nous accédons à une vie plus entière. Sachez que, sans vous, notre imaginaire crierait aujourd’hui famine. Et que, peut-être, nous serions beaucoup moins libres d’aspirer au  meilleur de nous-mêmes. Sachez enfin la force de vos présences dans nos vies et, ce soir plus que jamais, l’ampleur de notre gratitude.

Je vous salue et vous remercie debout comme le ferait une spectatrice toute illuminée par votre passage sous les feux de la rampe.