Ce contenu est archivé.
Discours inaugural à l’occasion de l’événement Community-University (CU)
Expo 2013: Engaging Shared Worlds
Corner Brook, Terre-Neuve, le jeudi 13 juin 2013
Je vous remercie de cet accueil chaleureux.
J’avais très hâte de participer à cette conférence importante sur les partenariats entre la collectivité et les établissements universitaires.
Comme nous nous trouvons à Terre-Neuve, je suis également conscient, au moment de faire cette intervention, que cette province a produit des orateurs vraiment remarquables, y compris le légendaire juge Prowse, dont on a pu dire ceci :
« Toutes les fois où le juge s’adressait à une personne se trouvant à plus d’un mètre de lui, il hurlait comme le capitaine d’un navire de pêche à son équipage en pleine tempête. »
En tant que personne qui prononce un grand nombre d’allocutions, j’avoue que cela n’a rien d’évident!
Toutefois, j’essaierai de faire de mon mieux.
Cette conférence internationale est à la fois une manifestation unique en son genre et importante dans notre calendrier.
L’une des caractéristiques étonnantes de la mondialisation est que non seulement elle permet, mais elle nécessite aussi une plus grande collaboration – entre les pays et à l’intérieur de ceux-ci –, et cette conférence repose, par sa nature même, sur la collaboration.
Ici, vous franchirez un autre pas vers la création de réseaux et de partenariats entre la collectivité et les universités, qui peuvent contribuer de manière considérable à un changement social positif.
Les établissements postsecondaires et les communautés qui les hébergent sont des partenaires naturels à cet égard. C’est leur capacité à travailler ensemble pour atteindre un but commun qui déterminera, en partie, nos chances de succès dans l’avenir.
Comme vous le savez, notre objectif est de produire un effet. Vous voulez faire une différence.
Dernièrement, je suis tombé sur une réflexion de Tony Wagner, le premier chercheur sur l’innovation dans l’éducation du Centre pour la technologie et l’entrepreneuriat de l’Université Harvard. En parlant du passage de l’école au marché du travail, il avance que le monde s’intéresse désormais à « ce que vous pouvez faire avec ce que vous avez appris », et non plus à ce que vous savez.
C’est là un changement important qui peut s’appliquer, de manière plus générale, au monde d’aujourd’hui. Cette conférence repose sur une volonté similaire de trouver des façons d’appliquer notre savoir pour induire un changement social.
Bien entendu, il ne faut pas empêcher de nouvelles découvertes en accordant trop d’importance aux résultats immédiats et aux applications pratiques. L’histoire de la médecine, pour ne prendre que cet exemple, montre l’importance, de tout temps, de poursuivre la quête du savoir de manière intrinsèque.
En réalité, le savoir et ce qui en résulte représentent les deux extrémités d’un spectre. Le succès d’un côté peut, et devrait, entraîner le succès de l’autre.
Les universités peuvent aider à renforcer les communautés — et vice-versa — car une communauté solide appuyée par l’apprentissage a les ressources et l’énergie nécessaires pour forger des établissements d’enseignement robustes.
Comme je le dis souvent, il n’y a rien de plus utile au monde qu’une bonne théorie générale, pourvu qu’elle soit continuellement mise à l’épreuve et peaufinée par rapport à la réalité. On ne saurait surestimer l’importance de tester nos hypothèses, de mesurer nos progrès et de prendre les mesures qui s’imposent.
L’Université de Waterloo et la ville de Guelph, en Ontario, nous fournissent un exemple remarquable de collaboration entre une université et la collectivité. L’année dernière, la ville a en effet collaboré avec la Faculté de recherches appliquées en santé afin de réaliser une « enquête sur le bien-être » de ses citoyens.
Pour cette enquête, les chercheurs ont utilisé principalement l’Indice canadien du mieux-être (ICME) : une série d’indicateurs qui mesurent de manière générale la qualité de vie des Canadiens. L’objectif consiste à mesurer le bien-être en fonction d’autres paramètres que seulement le produit intérieur brut (PIB), notamment au moyen des critères suivants :
- le dynamisme communautaire;
- la participation démocratique;
- l’éducation;
- l’environnement;
- des populations en santé;
- les loisirs et la culture;
- les niveaux de vie;
- l’aménagement du temps.
Selon les organisateurs, les résultats de l’enquête aideront à l’élaboration et à l’amélioration des politiques et des services publics. Quant à elle, la ville de Guelph souhaite tout mettre en œuvre pour que ses citoyens « vivent des vies saines, actives et heureuses ».
Cet exemple illustre très bien comment, en étant des citoyens « avertis », nous pouvons créer des sociétés plus « bienveillantes ».
La mesure du progrès s’avère importante afin de déterminer l’efficacité de notre action pour améliorer les choses. Cette année, c’est d’ailleurs le thème de la lettre annuelle envoyée par Bill Gates aux gens qui soutiennent la fondation qu’il a créée avec sa femme, Melinda.
Le but de la Fondation Bill & Melinda Gates est d’aider ceux qui en ont le plus besoin, où qu’ils vivent. Il s’agit là d’un objectif extrêmement ambitieux, qui nécessite d’innover constamment et, comme le souligne M. Gates dans sa lettre, la mesure du progrès est l’une des clés de la réussite.
Voici ce qu’il écrit :
« […] Je suis constamment frappé par l’importance de mesurer le progrès pour améliorer la condition humaine. […] [U]ne innovation – qu’il s’agisse d’un nouveau vaccin ou d’une nouvelle variété de plantes améliorée – ne donnera aucun résultat si les personnes susceptibles d’en profiter n’y ont pas accès. »
En principe, cela paraît assez simple. Toutefois, force est d’admettre que l’on néglige souvent l’importance d’une mesure et d’une évaluation rigoureuses du progrès. Et il n’est pas toujours facile de le mesurer.
Non seulement devons-nous savoir comment mesurer avec exactitude – autrement dit, savoir quelle méthodologie appliquer –, mais nous devons aussi savoir ce qu’il faut mesurer.
Lorsqu’il s’agit d’induire un changement positif, les universités et les collectivités peuvent collaborer de manière très constructive.
Les collectivités savent quels sont les besoins, et les établissements d’enseignement postsecondaire connaissent les méthodes et possèdent l’expérience et l’expertise permettant de déterminer comment il est possible d’y répondre — un beau mélange du « quoi » et du « pourquoi ».
Cette combinaison efficace d’atouts peut aider à améliorer concrètement la qualité de vie des gens. Pour s’en convaincre, il suffit de penser à la ville de Guelph, et à son initiative prometteuse axée sur le bien-être de sa population.
L’organisme Centraide et le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada nous offrent un autre bel exemple de collaboration entre une collectivité et un établissement d’enseignement. L’objectif de ce partenariat, qui réunit des chercheurs, des universitaires et des organismes au niveau des collectivités, consiste à s’assurer que l’innovation sociale occupe une place centrale dans le secteur de l’innovation au Canada.
Cela s’avère très important, car, comme vous le savez, chaque innovation influe sur nos vies et notre société. En raison du changement rapide de la façon de travailler, de vivre et de se divertir au XXIe siècle, il est particulièrement important d’en prendre conscience.
Or, tout indique que ce changement ne fera que s’accélérer au cours des prochaines années.
Comme le dit Neil Turok, directeur de l’Institut Perimeter pour la physique théorique, à Waterloo, en Ontario :
« Il est probable que les changements à venir seront encore plus profonds que ceux intervenus jusqu’ici. Nous sommes déjà témoins de la façon dont les communications mobiles et Internet contribuent à l’ouverture de la société planétaire, en fournissant un accès sans précédent à l’information et à l’éducation. Mais ce n’est là que le début de la transformation qui s’opère sous l’effet des nouvelles technologies. »
Et si tel est le cas, vous vous demandez peut-être comment nous pouvons nous préparer le mieux possible à cet avenir?
Il est impossible de prévoir l’ampleur ou la nature des transformations à venir. Toutefois, je pense que nos communautés et nous-mêmes pouvons nous guider en prenant pour point de référence nos valeurs. S’agissant des Canadiens, deux valeurs s’imposent à l’esprit : l’égalité des chances et l’excellence.
Malgré tous les changements que connaît notre monde, il est toujours fondamental de créer des chances égales pour tous et d’atteindre l’excellence. Nous devons le faire, et le faire bien.
Au lieu d’« égalité des chances », certains parlent plutôt d’« inclusivité », à savoir le thème d’un livre fascinant que j’ai lu l’année dernière, intitulé Why Nations Fail (« Pourquoi les pays échouent »). Les auteurs sont James Robinson, de l’Université Harvard, et un professeur d’économie du Massachussetts Institute of Technology (MIT), Daron Acemoglu, qui est également chercheur principal à l’Institut canadien des recherches avancées (ICRA).
La thèse de cet ouvrage éclairant tient à ce que des sociétés ouvertes sur les plans politique et économique connaissent la prospérité, alors que les nations et les sociétés qui pratiquent l’exclusion sont vouées à l’échec.
Appliquons cette thèse à nos collectivités et à nos universités, et dans nos pays. Appliquons-la à nos jeunes, en particulier, qui constituent une partie si importante du corps étudiant dans toute université, et qui souhaitent si ardemment contribuer à nos collectivités et les marquer de leur empreinte.
Il est tellement important de veiller à ce que tous aient les mêmes chances – d’assurer l’inclusivité – pour la génération de jeunes qui passent à l’âge adulte. Personne n’ignore qu’ils doivent surmonter de nombreux obstacles économiques, démographiques et sociaux.
Au Canada, les jeunes issus des régions urbaines et rurales, y compris de communautés autochtones et non autochtones, sont tous confrontés à cette réalité. Comme le souligne Fondations communautaires du Canada, dans un rapport récent : « Les jeunes Canadiens grandissent à une époque placée sous le signe de la complexité et de l’incertitude, qui retarde, voire élimine, les étapes décisives qui marquaient le passage d’une phase de la vie à une autre. »
Toutefois, nous savons aussi que de nombreux jeunes font aujourd’hui preuve d’une souplesse remarquable, n’ont pas peur de la complexité et souhaitent ardemment remettre en question le statu quo.
Il n’est pas exagéré d’affirmer que leur capacité à utiliser leur créativité et leur dynamisme déterminera notre bien-être à tous au cours des prochaines années. L’histoire nous montre ce qui arrive quand des sociétés empêchent les jeunes de jouer un rôle constructif et ne leur offrent pas de possibilités concrètes.
Lorsqu’il s’agit de mettre à contribution le talent et l’énergie des jeunes, les établissements d’enseignement postsecondaire et la collectivité ont un rôle central à jouer. Votre objectif est d’inspirer un changement social positif, et vous savez en quoi consistent la créativité et l’expérimentation nécessaires au renouvellement.
Je suis également convaincu que, grâce à des possibilités réelles, les jeunes assumeront l’autre partie importante de l’équation, dont je vous ai parlé : l’excellence.
Certains affirment que pour maîtriser un domaine, quel qu’il soit, il ne faut jamais arrêter de l’étudier. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’il faille fréquenter l’école indéfiniment. On parle ici plutôt de la détermination à apprendre et à découvrir tout au long de sa vie.
En participant à cette conférence, chacun de vous s’engage sur le chemin de l’apprentissage et contribue au changement social. Je tiens à vous en féliciter, et je vous encourage à continuer d’apprendre et à appliquer vos conclusions. Si toute invention répond d’abord à une nécessité, en revanche l’excellence est le produit d’un apprentissage, d’une innovation et d’une collaboration sans fin.
En tant que gouverneur général, j’invite les Canadiens à imaginer des façons de bâtir une société plus avertie et bienveillante, ainsi qu’un monde plus équitable et juste.
Vos efforts s’avèrent essentiels à notre réussite. Je vous souhaite à tous une conférence enrichissante et constructive, et je vous adresse tous mes vœux de succès dans la poursuite de ce travail important.
Pour m’inspirer de l’illustre auteur britannique, George Bernard Shaw, « Certains regardent les choses comme elles sont et demandent ‘Pourquoi?’. Nous rêvons de choses comme elles devraient être, et demandons ‘Pourquoi pas?’ ».
Merci.
