Le 19 octobre 2021
Sous réserve de modifications
FRANCFORT (Allemagne) —Bonjour. Hello. Guten Tag. (phrase en inuktitut par Son Excellence).
Je suis très heureuse d’être ici en personne pour donner le coup d’envoi officiel de la Foire du livre de Francfort, dont le Canada est l’invité d’honneur cette année.
Nous vivons un moment exceptionnel dans l’histoire du monde. La première pandémie mondiale depuis plus de 100 ans. Cette situation aura des répercussions durables sur chacun d’entre nous. Et sur nos histoires.
Bien sûr, l’art, la culture et la littérature nous ont soutenus dans ces moments difficiles. Depuis le début de la pandémie, de nombreuses personnes ont découvert l’univers des mots; ils y ont trouvé du réconfort, et ont été interpelés par ce qu’ils lisaient.
Je tiens à remercier les organisateurs de la Foire du livre de Francfort et les prochains pays invités d’honneur – l’Espagne, la Slovénie et l’Italie – pour leur patience, leur compréhension et leur collaboration, grâce auxquelles le Canada pourra partager ses histoires avec le monde dans les meilleures conditions possible.
L’année dernière, nous vous avons présenté notre thème de l’année en tant qu’invité d’honneur : Singulier Pluriel. Ce thème illustre la culture de diversité du Canada, où chacun de nous est unique, mais lié aux autres du fait de nos valeurs communes et de nos différences.
Nous sommes une nation multiculturelle. C’est plus qu’un simple fait. Cela fait partie de notre identité. Cette diversité prend vie dans la littérature canadienne, qui regorge de nouvelles voix et de perspectives uniques représentant les divers milieux du Canada.
C’est notre « Singulier Pluriel ». Et nous voulons le partager avec vous et le reste du monde.
D’un océan à l’autre, les auteurs canadiens ont des histoires originales et intenses à raconter, chacune reposant sur une multitude d’influences, de perspectives et d’expériences uniques.
Le Canada est une vaste nation à la géographie aussi diversifiée que sa population. Nos histoires reflètent ce territoire que nous aimons – qu’il s’agisse des côtes balayées par le vent du Canada atlantique, des forêts de pins entourant les Grands Lacs, des ciels infinis des Prairies, des sommets et glaciers des Rocheuses, ou de la toundra arctique, parée de majestueuses aurores boréales.
« Singulier Pluriel » rend bien cette idée que le Canada n’a pas qu’une seule histoire, puisque ce sont les histoires de chaque Canadien qui constituent notre épopée.
Ma propre histoire a commencé très loin d’ici, dans une partie du Québec maintenant appelée Nunavik. J’étais une enfant de deux mondes : le monde inuit et le monde non inuit, au sud.
J’ai grandi en suivant le mode de vie traditionnel des Inuits, voyageant en traîneau à chiens ou en bateau, et apprenant à chasser, à pêcher, à pratiquer la cueillette et à vivre de la terre. Mes parents et ma grand-mère nous ont appris, à moi et à mes frères et sœurs, tout ce que nous devions savoir sur notre patrimoine.
Et le soir? Ma grand-mère inuite adorait nous raconter des légendes.
Ma préférée était toujours l’histoire de Sedna. Il existe de nombreuses variantes de ce mythe, mais ma grand-mère nous racontait la version la moins macabre.
Cette légende raconte comment Sedna est devenue la souveraine du monde souterrain inuit et comment sont nées les différentes espèces de phoques, de morses et d’autres mammifères marins. C’est un mythe de la création.
Je crois que toutes nos histoires sont des mythes de la création. Nos histoires sont la façon dont nous nous créons nous-mêmes.
À travers ma propre histoire, j’ai appris à vivre dans deux mondes très différents. J’ai appris à trouver ma voix et à être une voix forte pour ceux et celles qui luttent encore pour être entendus. J’ai appris que nos histoires nous relient et nous donnent de la force.
L’histoire orale, comme les légendes que ma grand-mère nous racontait à moi ainsi qu’à mes frères et sœurs, est une partie importante de la culture inuite, de la culture autochtone. Des traditions similaires transcendent les frontières et les langues.
Chaque culture a une histoire et des récits, qui sont transmis de génération en génération.
Dans le Nord canadien, ces traditions orales et leur partage sont ce qui nous relie les uns aux autres et ce qui nous relie à la terre et aux eaux.
Quand j’étais jeune, nous entendions souvent parler des expéditions dans l’Arctique organisées par des habitants du sud. Les membres de ces expéditions qui ont survécu sont ceux qui ont demandé l’aide des Inuits.
Si ce n’est pas une leçon sur l’importance de partager nos histoires les uns avec les autres, je ne sais pas ce que c’est.
Nous devons prendre soin de nos histoires et de nos conteurs. Nous devons trouver de la place dans le monde et dans nos cœurs pour que toutes les histoires puissent s’épanouir.
Dans le Nord et dans toutes les régions du Canada, les peuples autochtones réaffirment leur présence sur le territoire et revendiquent leur identité. Ils redonnent vie à leurs langues et partagent leurs récits, leurs histoires et leur connaissance des terres qu’ils occupent depuis des milliers d’années.
Au Canada, nous nous efforçons également de reconnaître et d’accepter un chapitre sombre et douloureux de notre histoire – de notre véritable histoire.
Au Canada, plusieurs milliers de vies autochtones ont été perdues ou marquées à jamais du fait des pensionnats.
Il n’est pas facile de guérir ces blessures. Il faut du temps, de la confiance, de la compassion, du respect et de la compréhension.
La réconciliation est un mode de vie. C’est apprendre à se connaître les uns les autres. C’est voir le monde avec des yeux différents.
La réconciliation consiste à raconter nos histoires respectives, tant les bonnes que les mauvaises. Nos légendes et notre histoire. Notre vérité, notre douleur et nos espoirs.
Nous devons y travailler chaque jour.
J’ai lu des œuvres de nombreux auteurs autochtones. Ce ne sont pas toujours des histoires faciles. Mais ce sont des histoires importantes. Des histoires de fierté et de force. Des histoires qui nous rapprochent tous de la guérison, de la compréhension et de la réconciliation.
Je vous encourage tous à aller à la rencontre des nombreux conteurs autochtones de talent qui participent à la Foire du livre de Francfort.
Je vous invite également à explorer pleinement le panorama diversifié de perspectives culturelles que le Canada a à offrir en tant qu’invité d’honneur – en anglais, en français et même en allemand.
Nous sommes très heureux que le monde entier se joigne à nous au Pavillon du Canada.
Nous sommes également fiers d’être le premier pays invité d’honneur de la Foire du livre de Francfort à présenter un pavillon virtuel qui complétera nos activités « en personne », grâce à une programmation en ligne unique et interactive.
Nos pavillons réel et virtuel présenteront des auteurs, des illustrateurs et des interprètes canadiens dans le cadre d’une expérience novatrice et immersive qui mettra en lumière la riche diversité de la littérature et de la culture canadiennes, tout en permettant aux visiteurs de demeurer à l’abri de la COVID.
Nous sommes impatients de vous raconter nos histoires, et reconnaissants d’avoir la chance de partager les vôtres.
Parce que nos histoires comptent.
Nous sommes nos histoires. Notre monde est un portrait de nos histoires.
J’aimerais laisser le mot de la fin à l’un de nos conteurs, le regretté Richard Wagamese, auteur et journaliste ojibwé des nations indépendantes de Wabaseemoong, dans le Nord-Ouest de l’Ontario, qui a écrit :
« Tout ce que nous sommes, c’est une histoire [...] C’est ce avec quoi nous arrivons. C’est tout ce que nous laissons derrière nous [...] Alors ce qui importe, c’est de créer la meilleure histoire possible à raconter pendant que nous sommes ici; vous, moi, nous, ensemble. Quand nous y parvenons et que nous prenons le temps d’échanger nos histoires respectives, nous devenons plus grands à l’intérieur. Nous parvenons à nous voir, à reconnaître notre parenté. Nous changeons le monde, une histoire à la fois […] »
Merci. Thank you. Meegwetch. Nakurmik. Danke.