Le 8 mars 2024
Sous réserve de modifications
Bonjour,
Avant de commencer, je tiens à souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe. La reconnaissance du territoire est une façon de témoigner du respect à ceux qui sont établis sur ce territoire depuis des temps immémoriaux.
Cette reconnaissance peut mener à une meilleure compréhension et à un plus grand respect entre les peuples, quelles que soient leurs identités ou leurs façons de se définir. Nous pouvons tous prendre bonne note de ce geste et même nous en inspirer pour alimenter nos discussions en cette Journée internationale des femmes.
J’aimerais remercier le Cercle canadien d’Ottawa et l’association des Femmes chefs de mission diplomatique de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous aujourd’hui.
À l’occasion de la Journée internationale des femmes, nous célébrons les réalisations des femmes ici au Canada et dans le monde entier. Les femmes contribuent à tous les domaines et industries, qu’elles soient inventrices, porte-parole, ambassadrices, artistes, entrepreneures, fonctionnaires, et autres.
De nombreuses femmes présentes dans cette salle aujourd’hui — des femmes qui s’emploient activement à bâtir un pays et un monde meilleurs… Des femmes qui ouvrent des perspectives et qui agissent en faveur du progrès. Nous avons également parmi nous d’autres alliées, qui œuvrent en faveur de l’égalité des genres. C’est un privilège d’être ici avec vous.
Les femmes qui occupent des rôles de leaders jouent un rôle essentiel dans l’édification d’une société plus inclusive et égalitaire. On ne saurait trop insister sur l’importance de la présence des femmes dirigeantes. Les femmes offrent des perspectives différentes, des voix diverses et une expérience vécue qui contribuent à une prise de décision et à une résolution des problèmes plus inclusives, construisant ainsi un avenir prometteur pour tous et toutes.
Les femmes dirigeantes servent également de modèles qui peuvent inspirer la prochaine génération de femmes et de filles à viser l’excellence et à poursuivre leurs aspirations. Le genre d’une personne ne devrait jamais limiter son potentiel ou ses ambitions, quel que soit le domaine ou l’industrie.
Tout au long de ma carrière, j’ai vu des femmes dirigeantes inspirer et encadrer d’autres femmes, les aidant à approfondir leurs compétences, à prendre confiance en elles et à relever les défis de leur carrière. Personnellement, j’ai été inspirée par bon nombre d’entre vous, qui êtes présentes dans cette salle.
Et je sais que vous avez été des mentores et des sources d’inspiration pour tant de femmes tout au long de vos carrières respectives. Il est important de transmettre nos connaissances à la prochaine génération de femmes et de filles et d’investir dans leur avenir.
En tant que gouverneure générale, je souhaite tirer parti de ma fonction et de mon rôle pour aider d’autres femmes et exposer certains des problèmes qui touchent encore les femmes et les filles, en particulier en ce qui concerne la question du respect dans le cyberespace.
Il y a des années de cela, il m’est souvent arrivé d’être la seule femme présente lors de réunions. J’étais entourée d’hommes, j’étais négligée, ignorée et sous-estimée en raison de mon identité. Parfois, les hommes me rabaissaient, comme si mes opinions ne comptaient pas ou comme si je ne comprenais pas les sujets abordés.
J’avais alors deux choix : m’asseoir et encaisser, ou me lever et me faire entendre.
Je me suis levée.
Et je me suis fait entendre.
Je me devais de le faire pour les Inuits et les autres peuples autochtones, ainsi que pour toutes les femmes qui suivraient mes pas… pour chaque femme qui serait appelée à être dans l’une de ces salles de réunion et mériterait qu’on l’écoute. La cause, c’est-à-dire la réconciliation, la guérison, le respect et la compréhension, était trop importante pour que je fasse autrement.
Aujourd’hui, alors qu’une grande partie de notre vie se déroule en ligne, les attaques ont évolué et se sont déplacées des salles de réunion vers les plateformes numériques. Les médias sociaux offrent des lieux où l’on peut faire part de nos opinions et de nos idées, mais, comme pour toutes les technologies, leurs impacts sur la société dépendent de la façon dont nous les utilisons. C’est une chose d’offrir une perspective ou un point de vue différents, mais quand les commentaires deviennent personnels, haineux et, dans certains cas, violents; c’est là qu’il faut fixer la limite.
On lit de plus en plus de commentaires racistes, misogynes et violents en ligne. Ces commentaires touchent particulièrement les femmes — surtout celles qui occupent des postes de direction et celles qui sont racisées, mais aussi des femmes et des filles autochtones. En effet, les femmes sont de plus en plus victimes de harcèlement et de violence en ligne.
On entend des histoires de femmes qui quittent leurs postes, car les discours respectueux sont de plus en plus rares, notamment dans les médias sociaux.
Partout, les femmes sont devenues des cibles, moi y compris.
Depuis le début de mon mandat, il y a près de trois ans, j’ai été la cible d’attaques personnelles en ligne. Et ce n’était pas en raison de mes opinions ou de mes actions. J’ai été attaquée en tant que femme… en tant qu’Autochtone. Malheureusement, il ne s’agit pas d’un problème isolé, mais d’un problème omniprésent, qui touche des femmes et des filles de tous les horizons.
Ces attaques ne sont pas inoffensives. Elles réduisent au silence des personnalités fortes, ont un effet dissuasif sur la participation au discours public et créent un climat de peur et d’insécurité. Dans mon cas, ces commentaires avaient des conséquences directes sur santé mentale.
Je me devais de parler de ce sujet préoccupant. J’ai donc décidé d’utiliser la tribune dont je dispose et de la possibilité que j’ai de m’exprimer pour parler de mon expérience et d’expériences similaires vécues par d’autres femmes.
Je l’ai fait parce que je voulais que les gens comprennent les effets qu’a la violence en ligne sur les personnalités influentes et les futurs chefs de file.
De nombreuses femmes occupant des postes de dirigeantes consacrent trop d’énergie à se défendre contre la violence ou la désinformation. Cela ne peut pas continuer. Comme je l’ai dit, on voit des femmes quitter la fonction publique et choisir de se retirer à un moment où l’on a besoin qu’un plus grand nombre de femmes occupent des postes de direction, et non pas le contraire. Cette situation est déchirante.
De jeunes filles voyant ces attaques affreuses à l’endroit de femmes dirigeantes pourraient reconsidérer leurs aspirations à devenir des personnalités publiques, ou décider de garder le silence.
Ce serait désastreux pour notre société. Nous avons besoin d’une diversité de personnalités pouvant exprimer différents points de vue et parler des défis auxquels sont confrontées chaque personne et chaque communauté.
Il est essentiel pour les femmes, les hommes, la communauté 2SLGBTQI+, les peuples autochtones et tous les peuples d’avoir une tribune et de pouvoir s’exprimer. Ce n’est que lorsque tout le monde pourra jouir de manière égale de ses droits et aura les mêmes chances de s’épanouir que nous pourrons bâtir des sociétés plus fortes, plus pacifiques et plus prospères.
Je choisis donc de me lever et de faire entendre ma voix. Au cours de la dernière année, nous avons fait tout en notre pouvoir pour sensibiliser les gens. En effet :
- nous avons supprimé les commentaires dans nos plateformes de médias sociaux après des mois d’attaques personnelles et blessantes. Cette difficile décision n’a pas été prise à la légère;
- nous avons invité les femmes chefs de mission et de nombreuses autres femmes à participer à une discussion à Rideau Hall à l’occasion de la Journée internationale des femmes l’année dernière. Certaines d’entre vous ici présentes y étaient et se souviendront sans doute de la passion et de l’émotion avec lesquelles tout le monde avait parlé;
- et nous nous employons à réunir différents groupes pour parler de la nécessité d’avoir un cyberespace respectueux.
Certaines et certains d’entre vous se souviennent peut-être de la vidéo que nous avions publiée en cette même journée l’année dernière, dans laquelle je mentionnais certains des pires commentaires que j’avais reçus dans les médias sociaux. Nous nous étions demandé si nous devions la publier, si elle ne faisait qu’attirer davantage l’attention sur les auteurs de ces propos virulents et ne servait qu’à leur donner une plus grande importance.
En fin de compte, je suis heureuse que nous l’ayons publiée, car elle a incité de nombreuses femmes à communiquer avec notre bureau pour raconter leurs expériences et exprimer leurs préoccupations.
Cette expérience m’a montré que je n’étais pas seule. Que l’esprit d’unité dont nous avons fait preuve est une force.
Que pouvons-nous faire pour continuer à sensibiliser les gens? Que pouvons-nous faire pour prendre soin de nous-mêmes et des autres?
Nous savons que ce problème est complexe et que pour le régler, il faudra faire des efforts soutenus, obtenir la collaboration de différents secteurs et prendre un engagement durable. Nous sommes inspirés par les nombreuses femmes qui s’élèvent contre cette violence en dépit des menaces qu’elles reçoivent. Des femmes et d’autres alliées qui utilisent les tribunes dont elles disposent pour proposer des changements, et qui refusent d’être réduites au silence.
Mais quand la pression devient trop forte pour une personne, ou quand les menaces prennent de l’ampleur pour cibler des enfants, des familles ou des communautés entières, il n’y a aucune honte à demander de l’aide. Il faut de la force pour le faire.
Et il existe des moyens d’obtenir de l’aide.
Au cours de la dernière année, j’ai encouragé les gens à bâtir des réseaux de résilience.
La notion de réseau de résilience comporte deux aspects : le premier est la création d’un système permettant d’offrir du soutien aux personnes aux prises avec cette violence. Ce soutien peut être offert par des membres de la famille ou des amis, ou encore par des collègues ou d’autres personnes ayant vécu des expériences similaires. Vous devez trouver ou créer un cercle de personnes en qui vous avez confiance et à qui vous pouvez parler librement, sans vous sentir jugé. Avec qui vous vous sentez en sécurité et aidées… avec qui vous pouvez rebâtir votre estime personnelle et votre confiance. Par-dessus tout, vous devez prendre soin de vous et de vos familles.
Le deuxième aspect est la collaboration. Nous devons travailler ensemble pour réduire au minimum les incidences négatives des attaques en ligne, pour prendre conscience de nos expériences respectives et pour trouver ou imaginer des solutions. Nous pouvons tous travailler en ce sens.
En unissant nos efforts, nous trouverons des solutions, en apprenant ce que font les autres et en appliquant ces enseignements à nos vies. Les solutions viendront de femmes, d’hommes et de personnes de diverses identités de genres, bref de toutes les personnes qui sont des alliées. Des solutions naîtront également de rassemblements comme celui-ci, qui vous permettent de parler à d’autres personnes et de voir les choses sous des angles différents.
Il est important d’aborder ce problème en tenant compte de toute son ampleur et des nombreux points de vue différents. Nous parviendrons à des solutions quand nous n’exclurons personne de nos discussions et de nos décisions et quand nous comprendrons que différentes communautés peuvent être confrontées à des problèmes différents. Je nous encourage à trouver des alliés pour relever ce défi. Il faut que tout le monde, les femmes, les hommes et les personnes de toutes les identités et de tous les âges, nous avons besoin que vous vous exprimiez tous.
C’est grâce à ces efforts de sensibilisation que nous pouvons créer — et que nous créerons — un environnement numérique respectueux.
Pour ma part, je continuerai de raconter mon histoire et de diriger les projecteurs sur ce problème. Je continuerai également de promouvoir la création de réseaux de résilience permettant à des femmes et à leurs alliées de nouer des liens et de poursuivre cette conversation. À titre d’exemple, le mois prochain, nous organiserons à Rideau Hall un symposium sur le respect dans le cyberespace, qui réunira des gens de tous les horizons et ayant vécu toutes sortes d’expériences afin qu’ils discutent de cet important sujet.
Je vous encourage toutes et tous à vous élever contre la violence en ligne et à faire partie de la solution. Ensemble, bâtissons un monde meilleur, plus sûr et plus égalitaire pour toutes les femmes et les filles.
Je vous souhaite à toutes et à tous la meilleure des chances, tant aujourd’hui que demain, et je nous encourage à poursuivre ce travail essentiel.
Merci.