Son Excellence madame Sharon Johnston - Doctorat honorifique de l’Université Carleton

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Ottawa, le mardi 7 juin 2016

 

Merci de l’honneur que vous me faites en me décernant ce doctorat. C’est un grand moment de fierté.

J’aimerais d’abord souligner que nous nous trouvons sur le territoire traditionnel de la Nation algonquine. C’est l’endroit tout indiqué pour réfléchir au Rapport de la Commission de vérité et réconciliation qui a été rendu public à tous les Canadiens l’an dernier. À l’aide de témoignages personnels, le rapport démontre les impacts et les manquements de la politique d’assimilation du gouvernement, qui a conduit au système des pensionnats indiens.

Beaucoup d’entre vous connaissent ce sombre chapitre de notre histoire. Cependant, le rapport révèle entre autres que trop peu de Canadiens connaissent l’histoire des pensionnats indiens, les traités et la contribution des Autochtones à l’édification du Canada. Les premiers explorateurs européens qui sont venus ici n’auraient pas survécu sans les connaissances, la sagesse et la générosité des Premières Nations.

Mon désir de mieux comprendre le système des pensionnats indiens s’est manifesté quand j’ai commencé mes recherches pour mon prochain livre, qui fera partie d’une trilogie. Pour écrire, il faut faire de la recherche, comme c’est le cas en science.

J’ai découvert des faits difficiles à comprendre en examinant des dossiers gouvernementaux, des documents du Conseil privé et de la correspondance personnelle concernant le pensionnat indien Shingwauk, à Sault Ste. Marie, où le gouverneur général et moi avons grandi.

J’ai lu que la tuberculose était une cause fréquente de décès dans les pensionnats indiens, mais qu’aucun test à cet effet n’était fait sur les enfants autochtones. Les sanatoriums du Sud de l’Ontario refusaient de traiter les enfants des pensionnats. Des eaux usées brutes étaient déversées dans la rivière St. Mary’s, où les enfants nageaient. Et des fils électriques défectueux auraient pu provoquer un incendie dans l’édifice du pensionnat, où les enfants risquaient d’être coincés puisqu’il n’y avait pas de sorties de secours.

L’édifice a été condamné dans les années 1930, mais il a fallu six ans avant qu’une nouvelle école soit construite. La Loi sur les Indiens stipulait que les enfants autochtones devaient fréquenter l’école, mais ne disait rien sur la qualité de l’établissement. Les documents, dossiers et lettres de l’agent de santé publique traduisaient une absence d’empathie choquante à l’égard des Premières Nations.

Un fait troublant que j’ai découvert en faisant mes recherches, c’est que ma propre grand-mère avait été directrice infirmière à Shingwauk. Je l’adorais. Cela m’a pris plusieurs jours pour digérer cette information.

Ma grand-mère croyait en l’éducation et a même contribué à la construction de la nouvelle école, qui est devenue l’Université Algoma. Elle n’aurait pas compris les torts causés par la politique d’assimilation. Sa petite-fille, elle, les comprend.

David et moi sommes tous deux des témoins honoraires dans le processus de vérité et de réconciliation. Les mots « pensionnats indiens » ont laissé un goût amer dans nos bouches. Le mot « assimilation » est l’antithèse de la société canadienne qui vient d’accueillir des milliers de réfugiés syriens et qui respecte leurs pratiques culturelles.

Sur le bulletin d’une élève de Shingwauk, on pouvait lire que celle-ci parlait toujours sa langue maternelle, le cri. Cela lui a sans doute valu une punition, ou à tout le moins une réprimande verbale. Imaginez si vous étiez puni parce que vous parlez le mandarin, l’hindi, l’urdu, le japonais ou toute autre langue parlée dans votre famille.

Laissez-moi vous lire un poème puissant écrit par Rita Joe, une aînée mi’kmaw et une poète, sur l’importance de parler, d’écouter, d’échanger et de rêver ensemble. Le poème s’intitule « J’ai perdu ma langue » et va comme suit.

J’ai perdu ma langue
Le parler que vous m’avez arraché,
Quand j’étais petite
À l’école de Shubenacadie.

Vous me l’avez volée :
Je parle comme vous
Je pense comme vous
Je crée comme vous
La ballade brouillée, sur mon monde.

De deux manières, je parle
De deux façons, je dis
La vôtre est plus puissante.

Tout doucement, j’offre ma main et demande :
Permettez-moi de retrouver ma langue
Que je puisse vous montrer qui je suis.

Je pense que Rita Joe serait fière de vous voir tous ici réunis, à écouter son poème à la fois si simple et profond.

J’espère que tous les Canadiens se respecteront les uns les autres et reconnaîtront l’importance du patrimoine autochtone. Notre histoire en est une de diversité. Ouvrons-nous à elle.

C’est avec humilité que j’accepte ce doctorat honorifique. Je vous remercie de ce grand honneur.

Pour terminer cette courte allocution, je vous demanderais de témoigner personnellement de la contribution des premiers peuples à notre pays. Sans eux, nous ne serions pas ici aujourd’hui.