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Kingston (Ontario), le mercredi 14 décembre 2016
C’est avec un plaisir particulier que je m’adresse à vous dans la ville où David a terminé ses études en droit et où nous avons tous les deux entamé notre carrière.
David a enseigné à l’Université Queen’s, tandis que j’ai travaillé comme ergothérapeute, d’abord dans l’unité des soins psychiatriques du Kingston General Hospital, puis à Beechgrove, qui était alors la toute nouvelle unité de pédopsychiatrie de l’Ontario Hospital.
C’était il y a longtemps.
Après son passage à l’Université Queen’s, David prévoyait de faire un stage au cabinet d’avocats Osler Hoskins & Harcourt de Toronto, mais le doyen de la faculté de droit, Bill Lederman, lui a alors offert un poste d’enseignant. C’est là qu’il a commencé sa longue carrière en enseignement.
Ma propre carrière a été interrompue par des naissances rapprochées. Nous avons eu cinq filles en sept ans.
Cependant, j’ai consacré de nombreuses années à la pratique de la pédopsychiatrie auprès de mes propres enfants. Notre fille aînée, désormais une avocate spécialisée dans les droits de la personne, est née au Kingston General Hospital. La ville de Kingston revêt une grande importance sentimentale, car c’est le premier endroit où nous avons vécu et où nous sommes devenus parents.
En 1979, nous avons déménagé à Montréal, ce qui a surpris la plupart de nos amis.
Au contraire, nous pensions qu’il s’agissait d’une aventure formidable.
Mais je doute que nos filles unilingues étaient du même avis pendant qu’elles s’efforçaient d’apprendre le français.
Comme elles ont passé une vingtaine d’années à Montréal, nos cinq filles parlent maintenant une dizaine de langues.
David et moi parlons aussi français — c’est une richesse dans nos vies.
Nous ne nous attendions pas à ce que le premier ministre demande à David de devenir le 28e gouverneur général et à moi, de l’accompagner dans ses fonctions, en tant que conjointe.
Nous avons toujours travaillé en partenariat, mais jamais publiquement. Dans le milieu universitaire, le maintien de bonnes relations revêt une grande importance, et je crois m’être bien acquittée de cette tâche.
Notre foyer et notre famille sont devenus le prolongement du travail de David. Voilà, je crois avoir suffisamment parlé de ma famille. Si je suis ici, c’est d’abord pour parler de l’époux vice-royal.
Si le sexe, la nationalité, l’expérience et les talents des conjoints des gouverneurs généraux peuvent varier, par contre tous saisissent cette occasion pour apporter une contribution positive.
C’est pourquoi j’aimerais parler brièvement de mes prédécesseurs, dont la contribution sociale n’est pas nécessairement connue.
Lady Byng a créé le Trophée Lady Byng, décerné au hockeyeur professionnel ayant fait preuve du meilleur esprit sportif.
Lady Aberdeen a joué un rôle essentiel dans la création des Infirmières de l’Ordre de Victoria du Canada (VON).
Lady Grey a créé la section laurentienne de l’Ordre impérial des filles de l’Empire (IODE), à Ottawa.
Elles étaient britanniques et animées par un certain sens du devoir.
Mme Vanier, une Canadienne, a contribué à la fondation de l’Institut Vanier de la famille. Plus de cinquante ans plus tard, cet institut réalise des études et publie des rapports sur la famille moderne, qui, comme on le sait, a changé.
Enfin, depuis son mandat, un couple vice-royal récent, formé d’Adrienne Clarkson et de John Ralston Saul, veille à ce que la citoyenneté et les peuples autochtones fassent l’objet d’une attention importante.
Ces exemples montrent comment les conjoints des gouverneurs généraux ont tiré parti de ce mandat pour soutenir des causes qui leur tenaient à cœur et qui étaient représentatives de valeurs canadiennes profondément ancrées.
Ainsi, il a été facile pour moi de soutenir la santé mentale. J’ai toujours cru qu’une bonne santé physique et mentale était nécessaire pour qu’une société prospère.
Lorsque j’étais jeune, mon travail d’ergothérapeute à Kingston m’a permis de comprendre que la maladie mentale ne touchait pas que les adultes. Chez les enfants aussi, on dépistait des troubles de santé mentale.
Qui pis est, près de 4 000 Canadiens, dont de nombreux jeunes, se suicident chaque année. Ainsi, il n’est pas surprenant d’apprendre que la plupart des maladies mentales commencent avant l’âge de 18 ans, mais ne sont diagnostiquées que beaucoup plus tard.
Pendant les 27 années où David a été président d’une université, nous étions éminemment conscients des crises psychologiques vécues par des étudiants privés du soutien de leur famille.
Peu après avoir été nommé gouverneur général, David a été invité à choisir les piliers ou les thèmes qu’il souhaitait soutenir pendant son mandat.
On m’a aussi demandé de le faire, à titre de conjointe.
Pour David, la promotion de l’apprentissage, de l’innovation, de la philanthropie et du bénévolat semblait aller de soi. Après tout, il a dirigé des universités et des facultés de droit pendant des décennies.
Pour moi, c’est le thème de la famille et des enfants qui s’est imposé tout naturellement. Après avoir observé de nombreuse fois, dans le cadre de mes visites, l’application de meilleures pratiques novatrices au profit des familles et des enfants, je me suis rendu compte que la santé mentale était au cœur du bien-être de chaque enfant et de chaque famille.
Cela m’a aussi convaincue, de plus en plus, de la nécessité de simplement en parler. La stigmatisation diminue, comme l’illustrent les exemples suivants.
Clara Hughes a fait une grande tournée canadienne pour parler de la dépression dont elle a souffert, malgré ses quatre médailles d’or aux Jeux olympiques.
Bell Canada a créé « Cause pour la cause » dans l’objectif de discuter de la santé mentale et de soutenir financièrement les pratiques exemplaires d’un océan à l’autre.
Les Canadiens soulignent la Semaine de la santé mentale, et des personnes touchées par la maladie mentale sont devenues les Visages des maladies mentales, une initiative de l’Alliance canadienne pour la maladie mentale et la santé mentale. Après mon discours, nous distribuerons des photos des Visages des maladies mentales.
Partout au pays, nous discutons ouvertement de cette question.
J’ai vu comment des pratiques novatrices aident les personnes souffrant de problèmes de santé mentale, et je pourrais en parler pendant des heures.
Les enfants, les adolescents, les jeunes adultes (18 à 27 ans), les fonctionnaires, le secteur privé et nos militaires ont tous des défis à relever.
Dans les six dernières années, j’ai visité toutes les provinces et tous les territoires pour observer les pratiques sociales novatrices mises en place pour aider les sans-abri, les vétérans, les jeunes à risque, les toxicomanes, les alcooliques et les prostitués.
J’ai regardé le côté plus sordide de la vie, mais toujours avec un regard empreint de compassion.
J’ai passé du temps avec des agents de la police de Vancouver qui font des interventions sociales quotidiennement. À vrai dire, le quartier East Side est un véritable laboratoire ambulant pour les travailleurs sociaux. Près d'un million de dollars par jour sont consacrés à ce drame humain.
Il y a quelques années, j'ai visité la clinique de réduction des méfaits avec le Dr Julio Montaner, qui a découvert le cocktail médicamenteux contre le sida. Il m’a expliqué que les toxicomanes sont encouragés à transporter un antagoniste opioïde, qu’ils peuvent administrer à quelqu’un qui aurait fait une surdose d’héroïne.
Nous nous soucions de beaucoup de gens, mais nous ne sommes pas responsables de leur vie. J’ai dû prendre un moment pour digérer ce que le Dr Montaner me disait. Malgré une consommation de drogues débilitante, les toxicomanes peuvent sauver des vies. Voilà un exemple parfait d’empathie.
La société se penche maintenant de plus près sur les conséquences économiques et humaines des problèmes de santé mentale non traités.
Face à un problème de cette ampleur, il faut adopter des solutions stratégiques à grande échelle. Par exemple, le dirigeant de la fonction publique du Canada a annoncé que la santé mentale ferait partie de ses priorités.
Toutefois, il importe de rappeler que les petits gestes individuels peuvent aussi contribuer au changement.
Dans le domaine de la santé mentale, j’appelle cela l’effet « robe de bal ».
Pour la plupart des cérémonies tenues à Rideau Hall, les femmes portent une robe de bal pour souligner le caractère solennel de l’occasion. En six ans, j’en ai accumulé quelques-unes.
Comme je suis petite, il a fallu les raccourcir. J’ai conservé ces retailles de tissus luxueux dans un tiroir, dans l’espoir qu’elles soient un jour utiles.
Ce jour est venu lorsque j’ai rencontré deux jeunes femmes qui exploitaient un magasin de recyclage à partir d’Opération rentrer au foyer, un organisme sans but lucratif venant en aide à des jeunes à risque à Ottawa.
Aujourd’hui, des créateurs marient des tissus, des métaux et des pierres semi-précieuses pour créer des colliers, des bracelets et des broches de toute beauté.
Audrey et Angela, les jeunes bijoutières, ont vu une occasion d’affaires et sont venues chercher les retailles de mes robes à Rideau Hall, qu’elles ont utilisées pour créer leur collection « Desirable », lancée dans une galerie d’art avec l’aide de Centraide. Cette collection s’est très bien vendue.
Il faut savoir qu’Audrey a pris soin de ses parents, qui étaient schizophrènes et toxicomanes. Elle a dû partir de la maison pour assurer sa propre survie. Elle a appris la base et possède aujourd’hui une entreprise prospère. Quelle belle histoire d’espoir!
Au cours de la conférence annuelle de la Société canadienne de psychologie, j’ai fait un exposé sur ces jeunes bijoutières, dans lequel j’ai parlé de leurs problèmes de santé mentale et du succès qu’elles ont connu par la suite. J’ai piqué la curiosité d’un participant de la conférence, soit un cadre d’eBay, qui a communiqué avec les bijoutières afin qu’elles créent le principal article vendu en commémoration du 25e anniversaire d’eBay.
C’est l’effet « robe de bal » en pleine action!
Les retailles de mes robes ont aussi servi à d’autres personnes. Elles ont été envoyées par avion à Jasmine, une jeune entrepreneure de Toronto qui faisait des nœuds papillon. Elle recevait un microfinancement de Rise Asset Development, un organisme créé avec l’aide de Sandra Rotman, en partenariat avec la Rotman School of Management et le Centre de toxicomanie et de santé mentale (CAMH).
Ces retailles ont servi à créer une collection sexy, appelée « Nœuds papillon du gouverneur général ».
Toutefois, selon moi, il s’agit d’un paradoxe, car David associe le manque de goût vestimentaire à l’intégrité.
Ce sont des militaires endurcis qui ont ensuite subi l’effet « robe de bal », ce qui peut aussi paraître paradoxal, mais ne l’est pas.
J’ai rendu visite aux membres de l’Unité interarmées de soutien du personnel de la Garnison Petawawa, soit l’unité qui s’occupe de la santé mentale des militaires et de leur transition vers la vie civile.
J’ai été troublée par l’austérité des corridors blancs menant aux bureaux des conseillers. Ces corridors faisaient en sorte que les personnes demandant de l’aide étaient d’abord reçues avec froideur et insensibilité.
Au cours d’un petit-déjeuner à Rideau Hall, j’en ai parlé à Joe Rotman, qui était alors président du Conseil des arts du Canada, avant de décéder subitement l’an dernier.
Son décès a d’ailleurs profondément attristé toutes les personnes qui connaissaient Joe et son dynamisme. Après lui avoir décrit le problème constaté à Petawawa, Joe m’a dit que je pouvais le considérer comme réglé.
En l’espace de six mois, la Banque d’art du Conseil des arts du Canada a prêté des œuvres d’art exceptionnelles. Ces œuvres décorent désormais les corridors de l’Unité interarmées de soutien du personnel.
Malheureusement, Joe n’a jamais eu la chance de les voir, mais Sandra et sa fille, Janis, étaient présentes à l’inauguration de cette collection que toutes les personnes de la base peuvent admirer.
L’effet « robe de bal » a été suffisamment polyvalent pour mener à la création de bijoux et de nœuds papillon, et pour égayer les murs d’une base militaire. C’est ainsi que de petits gestes à notre portée peuvent faire une grande différence.
Le conjoint du gouverneur général peut aussi contribuer de façon plus générale à faire de Rideau Hall un endroit accueillant pour tous les Canadiens.
Au cours de notre mandat, que nous exerçons depuis près de sept ans, nous avons voulu imprimer un caractère durable et accueillant à ces fonctions.
Rideau Hall est la maison de tous les Canadiens et un endroit qui convient bien pour décerner les plus grandes distinctions.
L’Ordre du Canada, l’Ordre du mérite militaire, l’Ordre du mérite des corps policiers, les décorations pour service méritoire et actes de bravoure, les médailles pour les bénévoles, les médailles académiques, les médailles du jubilé d’or et de diamant, ainsi que les prix pour la littérature, les arts visuels et le journalisme ne sont que quelques-uns des distinctions décernées.
La résidence et le domaine de Rideau Hall, qui sont ouverts aux visiteurs, servent à l’exercice de fonctions officielles, à l’organisation d’activités publiques et à des sorties de patinage.
Chaque année, plus de 350 000 personnes visitent Rideau Hall. Ce fut un privilège de contribuer, tant soit peu, à souligner les réalisations des Canadiens et à les accueillir.
J’ai accompagné David dans de nombreuses visites à l’étranger effectuées à la demande du premier ministre.
Ces déplacements s’inscrivent dans les efforts du gouvernement pour promouvoir les liens entre les peuples ou exercer une diplomatie publique. Une délégation, dont la composition correspond à l’objectif du voyage, y participe également. Pour ma part, je m’acquitte d’un programme d’activités séparé, axé sur la promotion de la santé mentale.
Les délégués sont issus de différents secteurs, comme l’éducation, les milieux d’affaires, l’industrie, la santé, l’innovation et la philanthropie. Un petit nombre de délégués m’accompagnent toujours dans mes activités.
Lors de notre dernier voyage au Moyen-Orient, un jeune cadre de l’incubateur d’entreprises Digital Media Zone, de l’Université Ryerson, m’a d’ailleurs accompagnée à l’une de ces activités. Il a immédiatement vu l’occasion d’établir une collaboration entre des entreprises sociales palestinienne et israélienne. C’est là un excellent exemple de diplomatie publique.
Comme mon mandat de sept ans s’achève, je mets en place un nouveau mécanisme pour poursuivre mon action en faveur de la santé mentale.
À titre de capitaine de vaisseau honoraire du Commandement du personnel militaire, j’espère continuer à promouvoir la santé mentale au sein des Forces armées canadiennes. L’heure est à l’introspection pour nos militaires, qui tentent de comprendre et de juguler le taux élevé de suicide.
Ces six dernières années, j’ai visité une dizaine de Centres de ressources pour les familles des militaires dans tout le pays, j’ai visité des bases militaires, j’ai rendu visite aux membres d’Unités interarmées de soutien du personnel et j’ai passé une journée à Petawawa, au cours de laquelle j’ai participé à une simulation d’exercice militaire avec des membres de Young Presidents, dans le cadre d’une stratégie de transition pour les soldats malades et blessés.
Nos militaires élaborent également une stratégie de lutte contre le harcèlement sexuel dans les Forces armées canadiennes. Le chef d’état-major de la Défense, le général Vance, a inscrit la santé mentale en milieu de travail au rang de ses priorités.
J’aime à penser que, dans leurs nombreux voyages au Canada et à l’étranger, le gouverneur général et son conjoint représentent le cœur de notre nation.
Pour nous, la possibilité de représenter tous les Canadiens au cours des six dernières années a été un privilège.
Je vous remercie de m’avoir invitée à prendre la parole aujourd’hui.
Merci de m’avoir invitée aujourd’hui. Je serai heureuse de répondre à vos questions. Et n’hésitez pas à poser des questions à David, qui est ici avec moi.