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Ottawa, le vendredi 19 octobre 2012
Je suis touché d’être nommé associé honoraire et ravi de me joindre à vous tous pour cette merveilleuse célébration de grandes réalisations.
Je félicite les lauréats de cette année ainsi que les candidats à l’agrément et les associés. Étant moi-même un nouvel associé — sans mérite toutefois — je vous admire pour la discipline, le dévouement et la véritable intelligence dont vous avez sûrement fait preuve pour devenir des associés de la promotion 2012 du Collège royal.
J’aimerais pouvoir en dire autant de mes efforts, mais contrairement à vous, j’ai pris le chemin le plus facile. Tout ce que j’ai eu à faire pour obtenir mon statut d’associé a été de devenir gouverneur général. Rien de plus facile.
En tant que gouverneur général, je reçois chaque année des invitations de la part de centaines d’organisations pour prononcer une allocution devant leurs membres. Je dois malheureusement presque toutes les refuser, car je n’ai tout simplement ni le temps ni les ressources nécessaires pour donner suite à ces invitations.
Si j’ai accepté la vôtre, c’est pour plusieurs raisons importantes. En premier lieu, je respecte profondément la profession médicale, qui est un baromètre de nos efforts collectifs, en tant que Canadiens, pour bâtir un pays toujours plus averti et plus bienveillant. Nous sommes tous d’accord, j’en suis convaincu, qu’aucun paramètre n’est plus représentatif du succès d’une société que la santé physique et mentale de la population.
Je respecte également votre profession, parce qu’elle attire les Canadiennes et les Canadiens les plus talentueux. Il est donc normal qu’une plus grande proportion de membres de l’Ordre du Canada appartiennent à la profession médicale qu’à toute autre, puisqu’ils sont les citoyens les plus brillants, les plus accomplis et les plus généreux du pays.
J’ai aussi accepté votre invitation à cause de l’importance que le Canada accorde à la santé de votre organisation. Le Collège royal des médecins et des chirurgiens du Canada est la plus importante organisation de spécialistes du pays, avec plus de 42 000 associés pratiquant 60 spécialités en médecine et en chirurgie.
Étant le chef de file au Canada en matière de formation et d’évaluation de spécialistes dans ces deux domaines, votre organisation exerce une énorme influence. C’est ainsi que vos décisions, vos actions et l’exemple que vous donnez ont un effet percutant et généralisé sur d’autres groupes œuvrant dans le domaine des soins de santé au Canada.
À l’instar de votre profession, qui oriente les efforts des Canadiens pour bâtir un pays averti et bienveillant, votre organisation fait partie d’un petit ensemble de groupes qui est au premier plan des efforts de la profession médicale pour bâtir une profession toujours plus avertie et bienveillante.
J’espère donc que mes propos de ce soir auront un écho dans toute la profession médicale. C’est pourquoi je m’adresse non seulement aux associés du Collège royal ici présents, mais aussi à tous les fournisseurs de soins de santé du pays.
Je mentionnais l’Ordre du Canada un peu plus tôt. Comme le dit la devise de cet ordre, dont s’inspirent d’ailleurs ses membres, « Ils désirent un pays meilleur ». Depuis mon installation comme gouverneur général, j’invite tous les Canadiens à offrir un cadeau à notre pays à l’occasion du 150e anniversaire de la Confédération, en imaginant ce que pourrait être une nation avertie et bienveillante en 2017 et en agissant de manière à ce que leur vision devienne une réalité.
C’est dans cet esprit que je vous demande à vous, les professionnels de la médecine qui sont ici ce soir et aux autres milliers de vos collègues, d’offrir un cadeau à notre pays pour son 150e anniversaire. J’ai une suggestion à vous faire à cet égard : j’aimerais que vous fassiez en sorte que le plus haut niveau de professionnalisme devienne un credo explicite et vivant pour tous ceux qui pratiquent la médecine au Canada.
Pourquoi est-ce que je tiens tant à vous inciter, vous les professionnels canadiens de la médecine, à approfondir votre notion de ce qu’est le professionnalisme et à veiller à ce que les fournisseurs de soins fassent preuve quotidiennement du plus haut niveau de professionnalisme? C’est parce que vous êtes partie à un contrat social avec la population canadienne.
Ce contrat repose sur trois éléments : des connaissances spécialisées qui sont enseignées dans un cadre officiel et supervisé; le droit qui vous est accordé par l’État de contrôler des normes et des compétences; et une responsabilité envers la société qui vous oblige à servir le bien collectif.
Ce contrat représente un monopole pour la profession médicale. En contrepartie, vous avez le devoir de servir vos patients d’une manière compétente, d’améliorer le bien commun. Ce sont là les modalités du contrat.
Que se passerait-il si vous négligiez vos obligations en vertu de ce contrat social? Eh bien, les Canadiens pourraient envisager de modifier le contrat et de redéfinir le professionnalisme à votre place. Des règlements et des changements pourraient vous être imposés, probablement de manière à ce que votre privilège d’autoréglementation soit restreint sinon supprimé.
L’un des meilleurs moyens pour vous et pour les membres de n’importe quelle profession d’éviter que des changements vous soient imposés est de souscrire sans cesse à de nouvelles idées, d’établir et de respecter assidûment des normes élevées et, surtout, de veiller passionnément à ce que votre profession serve le bien commun.
Je vais vous raconter une histoire qui illustre bien ce point. Le Dr Thomas Roddick, que connaissent de nombreux Canadiens, est un éminent chirurgien. Les grilles d’entrée de l’Université McGill portent son nom, tout comme la belle salle de lecture et les archives du siège social de votre organisation.
Après ses études à McGill au milieu du 19e siècle, le Dr Roddick est allé à l’Université d’Édimbourg, où il a eu comme professeur le Dr Joseph Lister, qui a été un pionnier de l’utilisation du phénol pour désinfecter les pansements, les instruments chirurgicaux, les salles d’opération et les mains des chirurgiens. À son retour à Montréal, le Dr Roddick a ouvert une troisième salle d’opération, voisine des salles de deux chirurgiens qui lui avaient enseigné à McGill, avant sa découverte du phénol à Édimbourg.
Au cours de ses deux premières années de pratique, le taux de mortalité de ses patients était inférieur à deux pour cent, simplement grâce au pouvoir désinfectant du phénol avec lequel il aspergeait sa salle d’opération. Quant aux deux grands chirurgiens, qui refusaient d’utiliser ce produit, le taux de mortalité de leurs patients atteignait plus de vingt pour cent en raison des infections croisées.
C’est à ce moment que le Dr William Osler, reconnu par les Canadiens comme un géant de votre profession et qui était alors un jeune professeur à McGill, est intervenu et a menacé de publier ces statistiques dans les journaux locaux si les deux principaux chirurgiens persistaient à refuser d’utiliser le phénol. Ces derniers ont finalement cédé, et les taux de mortalité chez leurs patients ont immédiatement diminué de façon spectaculaire.
On peut tirer plusieurs leçons de cette histoire. Par exemple, en tant que professionnels de la médecine, vous devez rester ouverts aux meilleures pratiques utilisées par vos homologues d’autres régions. Vous devez encourager, en particulier, les nouvelles idées et vous montrer réceptifs à l’énergie des jeunes membres de votre profession. Vous devez sans cesse promouvoir la pratique fondée sur l’expérience. Vous devez utiliser les nouvelles connaissances pour renouveler et rehausser les normes professionnelles. Et vous devez en tout temps garder à l’esprit que le bien collectif passe avant tout.
En ce qui concerne ce dernier point, vous devez régulièrement réfléchir à ce que le public attend de votre profession et à sa façon d’interpréter les actions des professionnels de la médecine. La confiance du public, tout comme celle de vos patients, est d’une importance primordiale pour votre travail. Et chacune et chacun de vous doit être prêt à faire preuve de jugement et à intervenir dans les situations où le bien public est menacé ou en péril. Rappelez-vous que le Dr Osler, tout comme le Dr Roddick, était un jeune membre de la profession lorsqu’il a introduit le phénol.
L’intérêt que je porte à votre profession est la conséquence directe de l’amitié et de l’admiration profondes que j’éprouve envers Sylvia et Richard Cruess, deux médecins extraordinaires. Dick était doyen de la faculté de médecine à McGill, et Sylvia était directrice des services professionnels à l’Hôpital Royal Victoria. Or, depuis leur retraite il y a 15 ans, si on peut qualifier cela de retraite, ils ont mené une réflexion profonde sur la question du professionnalisme en médecine et ont écrit avec conviction sur ce sujet pour un large public dans le monde.
L’un des souvenirs que je chéris le plus de mes années à McGill, dont j’ai été le principal pendant 15 ans, est la collation des grades annuelle de la faculté de médecine. Durant la cérémonie, Dick Cruess invitait les nouveaux diplômés à réciter leur serment professionnel devant leur famille et leurs amis.
Ce serment ainsi que la déclaration prononcée par les associés, ce soir, me touchent au plus profond de mon être. Vous devez cependant veiller, en tant que médecins et chirurgiens, à ce que ce soit plus que des mots prononcés une fois au cours de votre vie. Vous devez traduire ces mots en pratique, chaque jour de votre vie au travail.
Je félicite le Collège royal qui concrétise cette déclaration et contribue énormément à la réputation du professionnalisme dans le domaine de la médecine au Canada. Votre leadership se manifeste d’une façon remarquable avec CanMEDS. En établissant ce cadre de compétences, vous avez fait du professionnalisme un élément clé des normes d’agrément, des objectifs de formation, des évaluations en fin de formation, des modèles d’examen et des programmes de maintien du certificat.
Je suis ravi d’apprendre que votre travail porte fruits non seulement au Canada mais aussi dans d’autres pays, ce qui en affirme la valeur et cimente votre réputation en tant qu’autorité nationale et internationale.
Je suis également heureux de voir que vous avez pris des mesures pour approfondir et élargir le professionnalisme. Vous avez encouragé les écoles de médecine à désigner des champions du professionnalisme. Vous avez fait de l’éducation permanente une réalité pour les associés du Collège royal et avez tiré profit du potentiel qu’offrent les nouvelles technologies pour accroître l’apprentissage. Et vous établissez des liens partout dans le monde pour partager votre savoir et pour bénéficier de ce que les autres peuvent vous apporter.
Alors ma question, ou si vous voulez le défi que je vous lance, est simple mais extrêmement difficile à réaliser et pourtant si cruciale : Que pouvez-vous faire d’autre, en tant qu’organisation, pour améliorer et élargir les meilleurs principes du professionnalisme? Que pouvez-vous faire d’autre, en tant que chef de file de votre profession, pour promouvoir ces principes et les inscrire au sein de toutes les organisations de soins de santé au Canada et inciter tous les fournisseurs de soins à les adopter?
Ayant toujours œuvré dans le milieu de l’éducation, je ne peux m’empêcher de vous faire quelques suggestions. Poursuivez vos efforts pour expliquer à d’autres groupes au Canada et aux autorités médicales d’autres pays comment vous avez utilisé CanMEDS pour que le professionnalisme devienne un élément fondamental de la formation, de l’enseignement et de l’agrément.
Entrez en contact, en particulier, avec les associations canadiennes dont les membres sont des spécialistes et avec les représentants de la médecine familiale au pays. Bon nombre de médecins, de chirurgiens et de praticiens éprouvent une profonde loyauté envers l’association de spécialistes dont ils sont membres. Or, certains de ces groupes ne se préoccupent pas nécessairement activement de la question du professionnalisme. Alors, faites l’effort de les aider à adopter CanMEDS pour leurs membres, car tous les médecins doivent chercher à atteindre un niveau élevé de probité professionnelle.
Vous en voulez la preuve? Le périodique Open Medicine soulignait, l’an dernier, que les médecins canadiens ayant récemment fait l’objet de mesures disciplinaires avaient pratiqué leur art pendant 29 ans en moyenne avant d’être visés par de telles mesures, ce qui me porte à croire que la médecine canadienne devrait surveiller le professionnalisme des médecins praticiens et non pas seulement celui des novices.
J’ai également une suggestion pour les nouveaux associés du Collège royal ici présents et qui sont mes pairs de la promotion de 2012. Mettez à profit l’énergie de votre jeunesse pour devenir des agents du changement au sein du Collège royal et du milieu médical afin de vous assurer que votre profession continue de faire de son mieux pour servir le bien public. N’oubliez jamais les Drs Roddick et Osler. Entretenez avec eux une conversation spirituelle. Vous serez en très bonne compagnie.
Le mode de prestation des soins de santé évolue rapidement et profondément. En tant que jeunes leaders du Collège royal et de votre profession, n’oubliez pas que, pour la plupart des générations passées de professionnels de la médecine, ce qui importait le plus, ce n’était pas les outils sophistiqués ou les pilules spéciales qu’ils transportaient dans leur sac en cuir noir. La plupart du temps, d’ailleurs, les maux dont souffraient leurs patients étaient incurables. Le principal rôle que ces générations de médecins avaient était d’apporter réconfort et soutien à leurs patients, une tâche infiniment plus difficile et délicate que d’administrer un traitement. Pour ce faire, les médecins avaient recours aux qualités professionnelles les plus humaines que sont l’altruisme, la bienveillance et la compassion.
En cette ère où nous vivons, où l’accent qui est mis sur la technologie, les traitements pharmacologiques, la rentabilité et l’efficacité risque de prendre le dessus sur votre humanisme, je vous incite, chers Associés du Collège royal, à maintenir les valeurs essentielles et les comportements fondamentaux, en gardant toujours à l’esprit les mots du Dr Osler.
Ce qu’il a légué à votre profession conserve toute sa pertinence, près d’un siècle après sa mort. Il estimait à sa juste mesure le poids de l’aspect humain du professionnalisme en médecine. Il disait que la pratique de la médecine était « un art, et non un métier. Une vocation, et non une entreprise commerciale; une vocation qui fait appel à votre cœur autant qu’à votre cerveau. »
Chers nouveaux Associés — mes pairs — faites appel à votre cerveau et à votre cœur dans une égale mesure. Cherchez toujours à faire en sorte que les principes les plus élevés du professionnalisme soient un credo vivant, aussi bien pour vous que pour tous les praticiens de votre noble profession.