Son Excellence la très honorable Michaëlle Jean - Discours à l’occasion d’une table ronde sur les femmes et le leadership : « Donner le ton : faire découvrir leur pouvoir aux Canadiennes de la prochaine génération »

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Rideau Hall, le dimanche 30 septembre 2007

C’est un plaisir pour moi de vous accueillir à Rideau Hall dans le cadre de ce forum, organisé de concert avec le Centre national des Arts, et dont l’objectif est d’amener des femmes à réfléchir ensemble sur la juste reconnaissance du rôle des femmes dans la culture et dans la société.

Dès ma nomination au poste de gouverneur général, j’ai voulu faire de cette résidence et de l’institution que je représente un espace de parole où les idées circulent librement.

Cette table ronde sur les femmes et le leadership s’inscrit tout à fait dans cette perspective, et voilà pourquoi j’ai répondu favorablement à cette initiative.

J’estime que nous ne parlerons jamais assez de nous, les femmes. De nos luttes. De nos victoires. Du pouvoir que nous avons d’influer sur le monde et de notre volonté de le changer pour le mieux.

Les droits des femmes, que nous tenons trop souvent pour acquis de nos jours, sont relativement récents dans l’histoire de l’humanité et, par voie de conséquence, restent fragiles.

D’où la nécessité de préserver la vivacité du flambeau de l’égalité.

Alimentons sa flamme de notre souffle. Et passons-le, ce flambeau, de main en main, de mère en fille, de mère en fils aussi, de génération en génération, comme nous le faisons aujourd’hui.

Partout où je suis allée, de l’Arctique au Brésil, de l’Afrique à Haïti et jusqu’en Afghanistan, j’ai rencontré des femmes exceptionnelles.

Des femmes de tous les milieux, de toutes les allégeances, de toutes les origines, de tous les âges.

Des femmes d’action dont le quotidien est une leçon de courage.

Des femmes de parole qui osent dire ce qui est tu, dénoncer, défendre une cause qu’elles croient juste, souvent au péril de leur vie.

Des femmes de tête, qui dirigent les destinées d’une entreprise, d’une organisation ou de toute une nation.

Des femmes de cœur qui aident, qui réconfortent, qui soignent, qui sondent les âmes.

Des femmes de culture et de science qui repoussent toujours plus loin les frontières de l’imagination et du progrès.

Ces femmes ont en commun d’avoir fait le choix de ne jamais baisser ni les yeux ni les bras.

J’ai aussi accompagné pendant des années des femmes qui avaient subi plusieurs formes de violence.

J’ai vu ces femmes, mortes à elles-mêmes, revenir à la vie.

On ose à peine imaginer la détermination qu’il faut pour se reconstruire après des années d’abus.

J’ai toujours été émue par cet esprit de résistance, cette résilience que nous avons, nous, les femmes.

Dans les situations les plus extrêmes, et tout au cours de l’histoire, nous avons continué de penser, de dire, d’agir et de nous battre.

J’ai encore présent à la mémoire le souvenir des femmes afghanes que j’ai rencontrées en mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale de la femme.

Ces femmes font face à de dures réalités et cherchent par tous les moyens à s’en sortir, même celles enténébrées sous leur bourka.

Certaines, grâce aux programmes de microcrédits que nous soutenons, font leurs premiers pas en vue d’acquérir l’autonomie financière. 

Et nous, femmes occidentales, savons à quel point il s’agit là d’un pas crucial lorsqu’on est en quête de respect et de liberté.

D’autres Afghanes, juristes, éducatrices, médecins et journalistes, sont sorties de la clandestinité pour conquérir un plus grand espace de parole, et l’on voit en Afghanistan des émissions de radio et de télévision se multiplier et répercuter leurs réalités. 

Deux de ces femmes, deux journalistes ont payé cette audace de leur vie, il y a à peine quelques mois.

Toutes celles, chez nous et ailleurs, qui ont un jour brisé le cercle de la violence et de l’oppression; toutes celles qui ont remis en cause les conventions; toutes celles qui ont fait voler en éclats les barrières sociales, toutes celles qui ont fait le pari de rêver grand sont, pour moi, des sources d’inspiration.

Je pense aussi à Aung San Suu Kyi, élue démocratiquement en 1990 et détenue en résidence surveillée depuis 11 ans.

Vous savez, lorsqu’on m’a offert le poste de gouverneur général, j’ai longtemps réfléchi.  Et je n’oublierai jamais le jour où ma fille, Marie-Éden, m’a dit à quel point elle était fière de moi. J’ai alors compris l’importance de ma décision et l’espoir qu’elle pouvait susciter, même chez une enfant de six ans.

Je crois que c’est ce qu’il faut instiller dans le cœur des femmes et des filles. La fierté. La confiance. Le désir vital d’être soi.  Le désir d’aller au bout de ses convictions.  Le désir de poursuivre notre œuvre de création.

De tout temps, les femmes créent. Dans l’anonymat. Sous un pseudonyme. Sous le nom d’emprunt d’un artiste reconnu. Mais elles créent, et c’est ce que nous célébrons ensemble aujourd’hui.

Encore de nos jours, dans bien des régions du monde, on censure, on bâillonne, on persécute celles qui prennent la plume ou le pinceau,  celles qui montent sur les planches, celles qui nous renvoient le monde en images, toutes celles qui osent dire haut et fort ce qu’elles sont et ce qu’elles pensent.

Même dans nos sociétés dites ouvertes, il n’y a pas si longtemps que les femmes créent en pleine lumière.

Malgré les contraintes nombreuses, malgré les préjugés coriaces, des noms de femmes ont percé le silence de l’histoire. Ces artistes ont pavé la voie, elles ont donné l’exemple.

Elles nous ont aidés à comprendre que le monde pouvait être autrement.  Qu’il était possible de le changer et de l’ouvrir à de nouvelles voix, et que celles des femmes devaient compter également.

Elles nous ont fait voir l’émancipation des femmes non pas comme une lutte entre les sexes, mais comme la conquête de notre liberté intérieure.

C’est un peu l’intention de Margaret Atwood dans The Penelopiad : déconstruire l’image de femme parfaite et d’épouse fidèle que symbolise Pénélope pour en faire une femme de chair et de sang. Une femme qui souffre, qui se bat contre l’adversité, qui sort de l’ombre et qui assume son destin et sa propre parole.

Elle a aussi donné une voix aux esclaves de Pénélope. Douze esclaves sans voix, sans nom, dépossédées d’elles-mêmes.

Par nous, les femmes, passent la vie, l’avenir de l’humanité, l’espoir d’un monde meilleur. Je l’ai vu de mes yeux vu en Afrique où tout l’avenir d’un continent repose sur les efforts quotidiens déployés par les femmes.

Que leur courage nous incite à aller au bout de nos possibilités, de nos rêves et de nos talents.

À nous de créer tous les possibles, non seulement pour nous-mêmes et pour toutes celles qui viendront après nous, mais pour l’ensemble de l’humanité.

Avant de leur passer la parole, j’aimerais maintenant remercier chaleureusement Gail Asper, Zita Cobb et Marie Chouinard, d’avoir accepté l’invitation de témoigner ici de leur parcours et de leurs réflexions en matière de culture. 

Chères amies, à vous la parole!