Le 24 octobre 2023
Sous réserve de modifications
Bonjour,
Je tiens d’abord à reconnaître que nous sommes réunis ici sur le territoire non cédé de peuple algonquin anishinabe, qui vit sur cette terre depuis des temps immémoriaux.
La formule de reconnaissance des terres est un élément essentiel de la réconciliation, et de nombreuses universités l’ont adoptée. Cette reconnaissance concerne à la fois le passé et l’avenir. Elle reflète l’histoire du Canada, dans toute sa plénitude et sa complexité.
C’est pour moi un honneur de me joindre à vous, et je remercie les organisateurs de m’avoir invitée à prendre la parole devant vous aujourd’hui.
Permettez-moi de commencer par deux réalités reliées entre elles :
- Nous savons que les discours misogynes, sexistes et racistes à l’ère numérique sont néfastes et dommageables pour les femmes, qui en subissent les conséquences de manière disproportionnée, en particulier les femmes occupant des postes de responsabilité et les femmes racisées. Mais les propos haineux et irrespectueux tenus en ligne affectent tant d’autres groupes : les peuples autochtones, les personnes de couleur, les membres de la communauté 2ELGBTQI+, les communautés minoritaires et marginalisées, les jeunes et les personnes âgées. Toute personne peut être prise pour cible.
- Nous savons également que les universités sont de puissants agents de changement.
Les médias sociaux ont sans aucun doute modifié la façon dont nous obtenons des informations et la vitesse à laquelle nous les obtenons. Les médias sociaux influencent notre raisonnement et nos actions, et nous permettent de communiquer instantanément avec des personnes du monde entier.
Les médias sociaux et les mots que nous choisissons d’utiliser sont des outils puissants. Ils peuvent être un formidable vecteur de choses positives, de gentillesse et de générosité. Mais cette puissance doit être maniée de façon responsable.
On constate que, vu la croissance exponentielle de leur utilisation et de leur influence, ces plateformes peuvent être – et sont – utilisées à mauvais escient.
Employés dans le but de rabaisser, de menacer ou d’inciter à la haine, les mots ont des conséquences profondes et dévastatrices. La désinformation et les commentaires toxiques peuvent atteindre des millions de personnes en quelques secondes, grâce à l’effet amplificateur des plateformes de médias sociaux. On trouve chaque jour, sur ces plateformes, des exemples de misogynie, de violence, de harcèlement et de racisme. C’est ce que subissent, sur le Web, les femmes et les filles – qui ne cherchent en fait qu’à être traitées équitablement en fonction de leurs mérites, de leurs idées et de leurs actions.
Les conséquences de tout cela ?
Des impacts sur la santé physique et mentale des gens.
Et une perte de confiance dans nos institutions.
Il en résulte un contexte qui pousse les femmes et les filles à se retirer des postes de direction et à refuser des rôles importants au sein de notre société. Les mots qui rabaissent ou qui menacent peuvent influencer les choix des femmes et des filles, et donc influencer leur avenir.
Que se passe-t-il si les femmes, en particulier les jeunes femmes, voient cette situation et se disent que le prix à payer pour exercer des responsabilités est trop élevé ? Et si cette crainte vient à miner leur confiance en elles, si elles limitent leurs objectifs, renoncent à leur potentiel et hésitent à exprimer leurs opinions ? Et si les membres d’autres communautés ciblées ressentent la même chose ?
Voici la réponse à ces questions : cette situation entraîne une lourde charge, qui se fait sentir d’un océan à l’autre.
Nous avons besoin de différents points de vue.
Nous avons besoin de différentes voix.
Ces éléments sont essentiels pour notre avenir, et vous en êtes tous conscients. Certains d’entre vous ont subi ce genre d’abus. Je le sais parce que j’en ai été victime moi-même. Le harcèlement en ligne dont j’ai été victime ne portait pas sur mon rôle, mais sur moi en tant que femme et en tant qu’Autochtone. Et j’ai entendu les témoignages d’autres victimes, au Canada et ailleurs dans le monde; des témoignages de dirigeantes, de journalistes et d’éducatrices passionnées par ce qu’elles font, mais qui sont vilipendées justement à cause de ce qu’elles font.
Les conséquences ne sont pas que décourageantes. Elles peuvent bouleverser des carrières et provoquer des ravages sur le plan émotionnel.
Que peut-on faire, alors ?
C’est là que je me tourne vers vous : les universités, qui sont des garants de l’éducation, des piliers de la recherche et du progrès social.
Je vous invite à réfléchir à deux moyens d’apporter une contribution :
- la création d’un « réseau de résilience »;
- la mise en place d’espaces numériques sûrs.
Mais qu’est-ce qu’un « réseau de résilience » ?
Cette notion comporte deux aspects : des ressources et des alliés.
Les services, comme le soutien à la santé mentale, le counseling et les réseaux de soutien par les pairs, peuvent outiller les personnes pour les aider à traiter et surmonter la négativité. Ils les aident également à aborder et affronter directement cette négativité.
Je sais pertinemment à quel point il peut être difficile d’accéder à ces mesures de soutien. Mais ces ressources devraient être accessibles partout : dans les communautés nordiques et rurales éloignées, dans les grandes villes… et dans toutes nos universités.
Nous devons aider la prochaine génération à trouver les mots pour exprimer ce qui lui arrive et ce qu’elle ressent, mais aussi les outils qui lui permettront de changer les choses et de contribuer à un dialogue approfondi.
Partout au Canada, j’ai été témoin d’approches novatrices en matière de santé mentale, des approches qui changent la donne. Et dans chaque endroit que j’ai visité, j’ai vu comment les intervenants établissent des liens au sein de la communauté et viennent en aide aux personnes qui en ont besoin. Mais les besoins sont énormes et nécessitent que l’on soutienne davantage le domaine de la santé mentale.
Dans les universités, ce réseau de résilience peut prendre la forme d’un réseau de soutien par les pairs qui s’étend au-delà de la sphère universitaire pour inclure des femmes dirigeantes et des personnes qui, reconnues comme des mentors et des modèles, ont fait face à des défis similaires. Les programmes de mentorat peuvent offrir une orientation et des conseils inestimables sur la manière de gérer les attaques sur les médias sociaux et de mener des carrières fructueuses dans des postes de responsabilité.
Il est important de trouver ces mentors et de trouver des alliés pour contribuer à la création de ce réseau.
Nous avons besoin d’alliés – femmes, hommes, personnes de toutes identités – qui s’expriment… qui dénoncent. Et il est de notre responsabilité d’écouter ce que ces personnes ont à dire.
Nous aurions intérêt à écouter les gens de tous âges, en particulier les enfants et les jeunes… qui sont eux-mêmes influencés par ce qu’ils voient en ligne.
Après tout, chaque personne a un rôle à jouer, chaque personne est appelée à proposer ses idées et à participer au processus. Nous devons faire front commun.
Notre réseau de résilience repose sur notre contribution collective.
Les universités ont également un rôle important à jouer dans la création d’espaces numériques sûrs. Aujourd’hui plus que jamais, de tels espaces sont nécessaires et essentiels.
Il est difficile de garantir des espaces sûrs pour tous, et je comprends qu’il n’y a pas d’approche miracle.
Mais je sais aussi que les universités sont des pôles de créativité et d’innovation, de recherche et d’analyse. Les universités peuvent apporter une contribution notable en étudiant les conséquences du harcèlement en ligne et la manière dont nous pouvons soutenir la création de ces espaces numériques sûrs.
La recherche peut servir de fondement à une action en faveur de changements politiques visant à protéger toutes les personnalités publiques de la violence en ligne. Par le biais de la recherche interdisciplinaire, nous pouvons concevoir les outils et les stratégies qui nous permettront de combattre efficacement la toxicité en ligne et qui nous aideront à mieux définir ce phénomène.
J’encourage les universités à lancer des plateformes et des communautés en ligne où les femmes leaders de tous âges peuvent discuter ouvertement de leurs expériences et bénéficier d’un soutien mutuel.
Quelle que soit la façon dont nous nous attaquons au discours toxique omniprésent, il faudra un effort collectif des universités, des organismes gouvernementaux, des plateformes de médias sociaux, des organisations de la société civile et des gens en général.
Nous devons travailler collectivement, car trop de gens se retrouvent sous les feux de la rampe pour de mauvaises raisons, à savoir en raison de leur genre ou de leur race, plutôt qu’en raison de leurs idées et de leurs réalisations.
Leurs voix sont essentielles à l’avancement des progrès sociaux et de l’égalité, et nous devons donc créer un monde meilleur pour les femmes, pour les filles, pour nos dirigeantes actuelles et futures.
Pour elles, nous devons oser parler et dénoncer les choses.
Pour elles, nous devons avoir des conversations difficiles.
Pour susciter le changement. Pour évoluer.
Quelle que soit la suite des événements, une chose est certaine : nous ne pouvons rien accomplir individuellement. Ce n’est qu’en travaillant ensemble, en nous rapprochant les uns des autres, en nous protégeant mutuellement, que nous pourrons créer la dynamique nécessaire à un changement durable, une étape à la fois.
Les universités canadiennes ont un rôle crucial à jouer pour ce qui est de favoriser l’inclusion, de soutenir les étudiants et les leaders, et de promouvoir un discours en ligne empreint de respect.
Il s’agit d’un travail difficile, mais qui mérite d’être accompli si nous voulons améliorer notre société dans son ensemble.
J’ai affirmé, au début de mon allocution, que les médias sociaux et les mots que nous choisissons ont un grand pouvoir – le pouvoir de guérir, de rassembler et de susciter des changements positifs.
Ensemble, nous pouvons créer un environnement numérique où les mots sont une source d’inspiration plutôt que de provocation. C’est notre responsabilité collective.
Je serai heureuse de répondre à vos questions et d’entendre vos idées pour favoriser un avenir empreint de respect dans notre société.
Merci.